Il y a deux manières d’analyser la relaxe que vient de prononcer, en France, la Cour de justice de la République (CJR) contre l’avocat-ministre Éric Dupond-Moretti.
La première est juridique. Cette institution française chargée de juger les membres du gouvernement pour des délits présumés commis dans l’exercice de la fonction a reconnu l’exactitude des faits reprochés au ministre, mais n’a pas établi «l’intention» de nuire de ce pénaliste qui, aussitôt devenu Garde des sceaux en juillet 2020, a accusé plusieurs magistrats de l’avoir injustement fait écouter. Les trois magistrats de la Cour de cassation, assistés de six députés et six sénateurs de tous bords politiques, ont donc dit le droit. Le fait d’être ministre de la Justice impose bel et bien de faire respecter l’indépendance de celle-ci. Mais être ministre n’impose pas le silence et l’inaction lorsque des faits apparaissent problématiques au regard de la loi, même s’ils concernent des juges placés, in fine, sous votre autorité.
Vedette des prétoires
La seconde lecture est à la fois politique et personnelle. Pour Éric Dupond-Moretti, 62 ans, star du barreau et pénaliste redouté des tribunaux français pendant près de quarante ans avant d’être nommé au gouvernement, cette victoire judiciaire est aussi l’épilogue gagné d’une longue lutte. Tout au long de sa carrière, cet avocat aussi puissant que controversé, bien connu à Genève, a bataillé contre une magistrature selon lui trop souvent biaisée, alliée avec la police et à la presse d’investigation, et bien moins indépendante qu’elle prétend l’être. À tous ses procès, sa stratégie a consisté non à défier les magistrats, mais à insister sur leur obligation de faire la part du doute.
Ses détracteurs, à l’inverse, l’ont toujours accusé de jouer aux vedettes, d’abuser de sa stature, de vouloir intimider le tribunal, bref, d’être un avocat anti juges. Comme ministre, Éric Dupond-Moretti était donc particulièrement vulnérable. Certains le qualifiaient déjà de «Titanic politique», prédisant sa chute et son départ du gouvernement. Or désormais réhabilité, il apparaît au contraire insubmersible, très utile à un Emmanuel Macron fragilisé. Et capable de poursuivre sa tâche comme ministre de la Justice. Voire, au-delà, une éventuelle vie publique.
Pas n’importe quel tribunal
Cette victoire, attention, n’est pas intervenue devant n’importe quel tribunal. La Cour de justice de la République est, en France, très controversée, parce qu’elle est très politique. Au moins huit de ses membres sur douze doivent soutenir chacune de ses décisions. Les parlementaires, évidemment soumis aux influences et intérêts de leurs partis, sont majoritaires dans cette juridiction d’exception que certains rêvent d’abroger.
N’empêche: de facto, c’est la thèse de l’avocat Dupond-Moretti (qui ne plaidait pas en personne, mais a été interrogé durant les trois semaines de procès) qui a été validée. Le ministre était accusé, dans deux affaires distinctes, d’avoir usé de sa fonction pour régler ses comptes avec quatre magistrats avec lesquels il était en conflit. Il avait ordonné contre eux une enquête interne. Laquelle a fait l’objet d’une plainte dont la CJR s’est saisie. L’accusé affirmait lui qu’il était de son devoir, comme ministre, de pointer des procédures problématiques de magistrats. Or, comme dans un jury populaire d’assises, le doute lui a profité.
«L’Aquittator» a gagné
«L’Acquittator» Dupond-Moretti, l’homme habitué à gagner ses procès à force de plaidoiries aussi teigneuses qu’efficaces, sort renforcé de cette épreuve. Même si le jugement va être disséqué, et contesté par tous ceux qui l’estiment «politicien», cet avocat se retrouve légitimé à la fois comme ministre, et comme juriste.
L’institution contestée qu’est la Cour de justice de la République a fonctionné. Emmanuel Macron peut respirer car cela évite un précaire remaniement gouvernemental même si un autre ministre, Olivier Dussopt, est actuellement en procès devant la justice correctionnelle.
Vu de l’étranger, et en particulier de pays où les conflits d’intérêts imposent une démission obligatoire aux ministres concernés, ce jugement peut légitimement choquer.
Vu dans le contexte français, il démontre la solidité des institutions. Et la preuve que les responsables politiques, lorsqu’ils font face à la justice dans les règles fixées par la loi, ne sont pas condamnés d’avance.