Les Verts français ont-ils perdu leur boussole? Les défenseurs de l’environnement misent-ils sur les luttes sociales et communautaires pour rallier les électeurs et les militants qu’ils redoutent de perdre, tant la transition écologique inquiète? L’obsession du «wokisme» a-t-elle remplacé, dans leurs rangs, la défense des énergies renouvelables et la lutte contre le réchauffement climatique? À ces trois questions, beaucoup de vétérans du parti Europe-Écologie-Les Verts (EEVL), répondent désormais oui. Surtout chez les nostalgiques des années 2000 avec Daniel Cohn-Bendit, Noël Mamère, José Bové et Dominique Voynet. La rancœur, la rébellion et les luttes intestines sont de retour. Appelez-ça l’effet «Médine»!
Rentrée politique
Au Havre (Seine-Maritime), où ils entament ce jeudi 24 août leur rentrée politique avec leurs traditionnelles journées d’été, les écologistes de l’hexagone s’apprêtent en effet à alimenter les grosses vagues de polémiques avec l’invitation confirmée du rappeur Médine, natif du port normand où il a grandi dans un quartier populaire. Le musicien et chanteur est un gros vendeur de disques. Il soigne son public et se présente toujours comme «havrais» issu de l’immigration. Problème: Médine est accusé d’être antisémite. Il vient de répondre au Parisien et à Paris Normandie que «ça le broie». Mais la polémique fait tache d’huile depuis qu’il a émis un tweet rageur contre l’activiste et essayiste Rachel Kahn. Résultat: les maires écolos de Strasbourg et de Bordeaux ont annoncé leur boycott de cette rentrée politique. Même la pasionaria Sandrine Rousseau, ennemi numéro un des barbecues, s’est dite choquée.
Pour ou contre Médine? On se pince, car ce débat n’aurait jamais dû avoir lieu au Havre. Qu’est-ce que le rappeur a à voir avec la défense du climat ou le lobbying en faveur de lois favorables à la transition énergétique? Médine est un musicien pamphlétaire assumé. Son premier album, inspiré des attentats du 11 septembre 2001 à New York, mettait en scène des jeunes victimes de l’impérialisme américain et de la politique de l’État d’Israël. Avec ces paroles: «Vivre en paix, se contenter de ce qu’on a/Un Coran, une bouteille d’eau, et les falaises d’Abou Maya/ Malheureusement, le monde a connu l’anthrax/ Les guerres de races et les bourreaux qu’on relaxe/ Les terreurs, les pendaisons sur l’estrade/ Les Twins-Towers et puis l’Islam et son Jihad.» Et aussi celles-ci: «Pour l’exemple on expulse un imam / Qui dit qu’être croyant c’est battre sa femme/ Bertrand Cantat était musulman/ Il écoutait les cassettes de Tariq Ramadan/ Quel beau discours du loup dans la basse-cour/Il sonne trop faux, c’est un double discours.»
L’antisémitisme, le piège
Médine antisémite? Le rappeur de 40 ans évoque aujourd’hui une maladresse pour avoir qualifié Rachel Khan, petite fille de déportés de «resKHANpée». «C’est une réponse à quelqu’un qui m’attaque en me traitant de déchet à trier, en lien avec les universités d’été. Mon tweet parlait de ça, c’est une maladresse avec le mot rescapé qui ne prenait pas en compte la charge historique. Je ne savais pas qu’elle avait une histoire familiale liée à la Shoah […] Je lutte contre l’antisémitisme, poison que l’on doit combattre, depuis vingt ans.» Soit. Mais les rails culturels sur lesquels Médine a fait rouler sa carrière sont bien ceux de l’affirmation des musulmans.
Son deuxième album s’intitulait: «Jihad, le plus grand combat est contre soi-même.» Le chanteur est un admirateur de Malcom X, ce fils de pasteur qui fut, dans les années 60, un emblème de la lutte radicale pour les droits civiques aux États-Unis, après sa conversion à l’islam. Ses mots assument son registre de la provocation. Taxé de machiste, il a plusieurs fois, dans des entretiens, estimé que «la question hommes/femmes est un des principaux angles d’attaque contre les quartiers populaires et les musulmans».
Retrouvez 11 septembre, le tube de Médine
La vérité semble malheureusement être plus simple. Dirigé par sa Secrétaire nationale Marine Tondelier, ex-candidate battue deux fois par Marine Le Pen dans sa circonscription législative d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Europe-Écologie-Les Verts est repris par les démons qui l’ont toujours différencié des autres Verts européens – et notamment des puissants «Grünen» allemands aujourd’hui au pouvoir: la division et la pente irrémédiable vers le gauchisme. Médine, d’ailleurs, sera aussi ces jours-ci l’invité à Château-sur-Isère des Journées d’été de la France Insoumise, la formation de gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon. «Cela fait vingt ans que je traite les sujets les plus clivants de notre société», se défend l’artiste. «C’est tout à l’honneur des Verts de vouloir élargir les intervenants. L’objet de cette rencontre, c’est de parler de la société à travers la culture. On va parler des préoccupations des Français à travers la musique.» Sauf que…
Le tweet de Médine qui a tout fait déraper
La question posée est celle du rapport des Verts français à la contestation, aux luttes sociales, aux jeunes générations. Le philosophe franco-suisse Dominique Bourg, ancien enseignant à Lausanne, est proche de Marine Tondelier. Il l’avait suivie lorsque celle-ci affirmait que les écologistes doivent apprendre à intégrer «Parents et grands-parents inquiets pour leurs enfants», «paysans broyés par le modèle agricole industriel» ou encore «entrepreneurs conscients des limites planétaires». La ligne défendue alors était claire: en faveur de la «décroissance» et en «opposition au capitalisme ou au néolibéralisme économique, au productivisme et aux nationalismes, destructeurs du vivant et des solidarités».
Avec Médine et la polémique sur l’antisémitisme, tout a dérapé. Grands amateurs de vélo, les Verts Français donnent surtout l’impression d’avoir perdu les pédales en cette rentrée 2023.