L’Union européenne est bien en guerre. Mais cette guerre-là ne se joue pas directement dans l’est de l’Ukraine, face aux chars d’assaut et aux canons russes. Elle se joue dans les salles de marché des «traders» spécialisés dans l’énergie, dont une partie se trouve à Genève, au bord du Léman.
Cette guerre a un ennemi: l’explosion des prix du gaz et celle, consécutive, des tarifs de l’électricité que chacun d’entre nous devra acquitter cet hiver pour chauffer sa maison ou son bureau. Problème: face à ce conflit-là, les Européens sont aujourd’hui bien plus démunis que face à l’armée de Vladimir Poutine, dont les déficiences logistiques et militaires sont évidentes. C’est donc le dos au mur que les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 pays membres de l’Union européenne ont abordé ce champ de bataille énergétique vendredi 7 octobre à Prague (République Tchèque) pour parler solutions et moyens d’enrayer cette spirale à la hausse des tarifs.
L’Allemagne mène l’offensive
Un homme a récemment tapé du poing sur la table: le chancelier allemand Olaf Scholz. Impossible, pour son pays jusque-là si dépendant du gaz russe (55% de ses importations énergétiques avant le conflit), de subir l’explosion des prix et les aléas de livraisons imposées, entre autres, par les exportateurs Américains de gaz liquéfié: le fameux GNL acheminé par navires méthaniers à travers l’Atlantique. Berlin a débloqué en urgence, en mai, trois milliards d’euros pour louer trois terminaux «offshore» de gaz liquéfié américain. La construction d’un premier terminal terrestre a démarré, avec pour objectif d’être reconverti, une fois l’accalmie énergétique revenue, en terminal de production d’hydrogène vert et de dérivés d’hydrogène.
Mais pour rendre le fardeau financier supportable, la spéculation doit cesser. Le tarif du GNL a plus que doublé en six mois, pour atteindre des niveaux records. Même les ménages américains sont affectés par ricochet. «Certains pays, y compris des pays amis, pratiquent des prix astronomiques dans certains cas», a répété Olaf Scholz à Prague, englobant dans ses critiques la Norvège, l’Algérie, le Qatar ou l’Azerbaïdjan, autres grands fournisseurs de gaz. «Evidemment, cela pose des problèmes dont nous devons parler».
Trois propositions sur la table
La réponse politique a été en partie formulée, à l’issue du sommet de Prague, par Emmanuel Macron. Elle tient en trois propositions.
La première? Un arrangement urgent entre pays européens et asiatiques (à savoir les pro-occidentaux comme le Japon, Taïwan, la Corée du sud) dépendants sur le plan énergétique pour imposer un plafonnement aux fournisseurs de gaz. A elle seule, l’UE importe 20% du gaz mondial, ce qui donne un levier. La Commission européenne doit en urgence formuler une proposition en ce sens pour le prochain sommet des dirigeants de l’Union les 20 et 21 octobre à Bruxelles.
L’exemple à suivre est celui de l’Espagne et du Portugal qui plafonnent depuis juin à 40 euros par mégawatt-heure le prix du gaz utilisé dans la production d’électricité. Cette contrainte imposée aux opérateurs électriques privés espagnols et portugais (en raison de la spécificité du mix énergétique ibérique) a bénéficié d’une dérogation de Bruxelles qui, désormais, veut l’étendre à l’ensemble de l’Union.
Seconde proposition, lever tous les obstacles à une reprise massive de la production d’énergie nucléaire en Europe. «Nous devons produire une énergie décarbonée. Les renouvelables et le nucléaire sont la solution» a, sans surprise, répété Emmanuel Macron dont le pays repose à 70% sur l’atome pour sa production énergétique. La Suisse est concernée. L’Allemagne a déjà entrouvert la perte à un redémarrage de ces centrales, malgré la présence des écologistes dans la coalition au pouvoir à Berlin.
Retrouvez la conférence de presse d’Emmanuel Macron à Prague
Troisième angle d’attaque: les interconnexions électriques entre pays de l’UE. L’idée est simple: il sera impossible pour les Européens, Suisse inclue, de remporter cette guerre énergétique si certains pays, comme la Hongrie, les pays baltes ou la Slovaquie ne sont pas raccordés aux autres membres qui sont à l’arrivée des gazoducs, ou disposent des terminaux méthaniers. Emmanuel Macron a toutefois un problème: la France bloque encore la traversée des Pyrénées par le gazoduc Midcat qui relierait l’Espagne au nord de l’Europe pour le GNL. Ce blocage est de moins en moins tenable.
Trois fronts pour remporter cette guerre
Trois fronts pour remporter cette guerre qui, en cas d’échec, débouchera sur des contestations sociales d’autant plus massives que les réserves constituées (les stocks européens sont remplis à environ 80%) pour passer cet hiver… devront être remplis à nouveau pour l’hiver 2023. Une réforme du marché européen de l’électricité consécutive est désormais inévitable car celui-ci constitue l’arrière-garde de l’offensive menée contre les prix. La Suisse, non-membre de l’Union européenne mais tributaire de ses voisins sur le plan énergétique, se retrouvera obligatoirement en première ligne.