Rationnement. Délestage. Black-out. Voici les mots que nous allons devoir apprivoiser. Après l’annonce, lundi 29 août, d’une «intervention d’urgence» de l’Union européenne (UE) sur le marché de l’électricité, la traduction concrète de la pénurie annoncée de gaz russe est en train de bouleverser notre vocabulaire.
Devant les patrons français réunis pour leurs journées annuelles à Paris, la Première ministre Élisabeth Borne y a ajouté le terme de «sobriété», demandant aux entreprises de «prendre leur part» pour réduire leur consommation d’énergie. Le doute n’est plus permis: à moins que les températures des mois prochains soient très clémentes, l’hiver 2022 ne ressemblera à aucun autre.
«État d’urgence» énergétique
Preuve de cet «État d’urgence» énergétique, trois mesures seront à l’agenda des 27 pays membres de l’UE le 9 septembre, date de la réunion extraordinaire sur l’énergie à Prague. Les ministres des Affaires étrangères européens, qui tiennent les 30 et 31 août une réunion informelle dans la capitale tchèque, viennent de les confirmer.
Mesure 1
Une réforme structurelle du marché européen de l’électricité, avec la mise en place d’un plafonnement des prix du kilowatt.
Mesure 2
L’accélération des commandes européennes mutualisées de gaz, pour éviter que les pays fournisseurs (Qatar, Algérie, États-Unis…) mènent une redoutable surenchère.
Mesure 3
L’aplanissement des derniers obstacles à la construction de nouveaux gazoducs pour acheminer les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) vers les pays demandeurs. Le premier ministre Espagnol Pedro Sanchez s’est justement rendu à Berlin ce mardi 30 août pour discuter avec le chancelier Allemand Olaf Scholz de la finalisation du gazoduc Midcat à travers les Pyrénées, sur lequel la France rechigne à donner son accord.
Une question cruciale pour la Suisse
Pour la Suisse, qui n’est pas membre de l’UE, la question de la réforme du marché unique de l’électricité est cruciale. «L’intégration de la Confédération dans ce marché reste très importante pour garantir la sécurité de l’approvisionnement», reconnaît le document de présentation des enjeux énergétiques de l’administration fédérale. Une phrase refuge que le dernier rapport du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a clarifiée en octobre 2021, avec la remise d’un rapport détaillé, six mois avant le début de la guerre en Ukraine.
Or que disait-il? Que la Suisse est en position de grande vulnérabilité: «S’il n’y a pas de coopération et que les pays voisins limitent leur capacité de transport électrique depuis et vers la Suisse, la situation deviendra rapidement critique. Les besoins en électricité en Suisse pourraient ne plus être couverts pendant des dizaines d’heures… avertissaient les experts. Avant d’admettre que le scénario qui permet de gérer la situation la plus pessimiste de la manière la plus sûre est celui d’un accord.»
À lire sur la crise énergétique
Plafonnement des prix de l’électricité
Du coté du plafonnement des prix de l’énergie pour les consommateurs, seuls deux États membres de l’UE, l’Espagne et le Portugal, ont jusqu’à présent obtenu le feu vert de Bruxelles pour déroger aux règles communautaires, en raison de leurs faibles connexions aux réseaux européens. Seront-ils suivis? Pas sûrs, car le lobby des énergéticiens (dont les profits explosent) n’y est pas favorable. Idem pour de nombreux gouvernements qui voient, grâce à l’envolée des prix, leurs recettes fiscales augmenter via les taxes, et estiment indispensable de privilégier avant tout les énergies renouvelables ou moins polluantes.
La solution la plus probable pourrait donc être celle d’un découplage du prix de l’électricité et du gaz, comme le propose la France. Avec cette question: comment mettre sur place un tel dispositif dans l’urgence, à quelques semaines de l’hiver que Vladimir Poutine espère transformer en arme fatale?
Pour aller plus loin: Lire ici le rapport du DETEC sur la Suisse et le marché européen de l’électricité.