La guerre diplomatique est déclarée entre la France et l'Algérie. Une guerre, oui, tant il est difficile d'imaginer une normalisation au vu de l'escalade entre Paris et son ex-colonie, alors qu'une accalmie semblait être intervenue depuis le déplacement à Alger du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, le 6 avril dernier.
Guerre diplomatique: le mot est bien plus inquiétant qu'il n'y parait, compte tenu du poids de la diaspora algérienne en France, forte d'environ 2,5 millions de personnes (incluant les binationaux et les résidents). Or nous y sommes, après 48 heures dominées par les expulsions mutuelles de diplomates.
Renvois diplomatiques
Acte 1: Le renvoi lundi par Alger de douze diplomates français, à la suite de l'interpellation en France de trois hommes, dont un agent consulaire algérien, mis en examen «pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le septième jour» et «association de malfaiteurs terroriste criminelle».
Acte 2: La riposte française ce mardi 15 avril, et l'expulsion de douze agents servant dans le réseau consulaire et diplomatique algérien en France, plus le rappel pour consultations de l'Ambassadeur de France à Alger.
Pour les familiers des relations entre les deux pays depuis l'indépendance acquise à l'issue des accords d'Evian du 18 mars 1962, le pire n'est plus exclu, à savoir une détérioration durable des relations entre Paris et Alger. Avec, en toile de fond, deux colères qui paralysent le débat politique français depuis des mois.
Les deux colères
La première colère, instrumentalisée par l'actuel ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, est liée au refus de l'Algérie de reprendre ses ressortissants frappés d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une première liste d'une soixantaine de noms a été refusée par Alger en mars pour des motifs juridiques contestables, alors qu'environ 59'000 autres délinquants de nationalité algérienne sont aujourd'hui visés par des OQTF. Cette colère est cristallisée par l'accord France-Algérie de 1968, qui instaurait des conditions privilégiées en France par les ressortissants algériens.
La seconde colère, qui tétanise les milieux intellectuels parisiens, est liée à l'arrestation et à la condamnation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, interpellé à l'aéroport d'Alger le 16 novembre. L'intéressé, publié par les prestigieuses éditions Gallimard, a écopé le 27 mars d'une peine de cinq ans de prison et d'une amende de 500'000 dinars (3470 euros) pour «atteinte à la sûreté de l’Etat, à l’intégrité du territoire et à la stabilité des institutions».
Adieu la sortie de crise
L'espoir de ces derniers jours était que ce contentieux serait mis en mode pause, grâce au bon vouloir des deux présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. C'est à cette sortie de crise qu'avait travaillé à Alger le chef de la diplomatie française. L'espoir d'une grâce présidentielle accordée à Boualem Sansal alimentait les espoirs d'accalmie.
Erreur. La poursuite, sur le territoire français, des activités clandestines présumées du régime algérien pour faire taire les influenceurs hostiles à son pouvoir, a ruiné l'espoir d'une normalisation. Tandis que du côté géopolitique, le rapprochement entre la France et le Maroc – symbolisé ces derniers jours par la présence du royaume chérifien comme invité d'honneur du Salon du livre de Paris – est jugé inacceptable par le régime algérien dominé par l'armée, autour du dogme de la guerre de libération contre la France.
Dégradation brutale
«Les autorités algériennes prennent la responsabilité d’une dégradation brutale de nos relations bilatérales, énonce le communiqué de la présidence française. Dans ce contexte difficile, la France défendra ses intérêts et continuera d’exiger de l’Algérie qu’elle respecte pleinement ses obligations à son égard, s’agissant tout particulièrement de notre sécurité nationale et de la coopération en matière migratoire.»
Une affirmation très éloignée de la volonté mutuelle, affichée il y a quelques jours, de «reconstruire un partenariat d’égal à égal, serein et apaisé».