Difficile de trouver deux pays plus différents. La Suisse et la France sont en paix perpétuelle depuis le traité de Fribourg de 1516, mais leurs pratiques politiques sont aux antipodes. Du côté français, une centralisation à l’extrême, où tout remonte au président de la République élu au suffrage universel depuis 1962. Du côté suisse, le pouvoir très décentralisé dans les mains des Cantons, et le référendum qui règne en maître. Allez, on vous explique comment fonctionne la France qui a désormais un nouveau numéro deux, nommé par Emmanuel Macron: le premier ministre Gabriel Attal, 34 ans.
A quoi sert le premier ministre français?
Il dirige le gouvernement. Il est normalement le chef de la majorité présidentielle au parlement. Il peut être limogé à tout moment par le Président de la République, mais il peut aussi être renversé en cas de vote d’une motion de censure par une majorité de députés à l’Assemblée nationale (une seule adoptée à ce jour, le 4 octobre 1962, qui entraîna la démission du gouvernement de Georges Pompidou).
Le premier ministre est surtout le commandant en chef de l’administration française. C’est autour de lui que s’organisent les réunions interministérielles. Son directeur de cabinet est «la tour de contrôle du pays». Emmanuel Macron l’a d’ailleurs compris en faisant nommer à ce poste Emmanuel Moulin, un haut fonctionnaire qu’il connaît bien. Le premier ministre est en fait le premier collaborateur du président, qui conserve la haute main sur la politique étrangère et la défense (son domaine réservé). Il est aussi le fusible. Élisabeth Borne, contrainte de démissionner lundi 8 janvier, vient de l’apprendre à ses dépens.
L’Assemblée nationale peut-elle faire contrepoids?
Non. Dans le système français de la Ve République (depuis 1958), les commandes de l’État sont dans les mains du Président de la République. Le régime présidentiel français donne même au locataire de l’Élysée plus de pouvoirs que celui des États-Unis, car il peut dissoudre l’Assemblée, ce que ne peut pas faire le locataire de la Maison-Blanche. Deux points à retenir: 1) Les députés ont toujours le dernier mot en France. Ils peuvent faire adopter un texte sans l’accord du Sénat. 2) Emmanuel Macron n’a plus de majorité absolue (289 députés sur 577) depuis les législatives de juin 2022. D’où le recours à 23 reprises, , sous le gouvernement d’Élisabeth Borne, à la procédure d’urgence de l’article 49.3 de la constitution qui permet de faire adopter un texte sans vote. Le parlementarisme à la française? Ligoté par l’exécutif.
Emmanuel Macron est-il un président «fini»?
Le fait est que l’actuel président de la République, réélu en avril 2022 pour un second mandat, ne pourra pas se représenter à l’issue de son quinquennat en 2027. C’est la constitution qui l’impose, depuis 2008. L’autorité du Chef de l’État réélu se trouve donc entamée. Le choix comme premier ministre de Gabriel Attal, son poulain favori, s’explique largement par cette réalité institutionnelle. Le nouveau premier ministre, populaire dans les sondages, peut être une bonne carte électorale pour limiter les dégâts aux élections européennes de juin prochain. Mais il ne fera pas d’ombre à son patron. Mieux: si Attal conserve sa popularité, Macron pourra envisager de dissoudre l’Assemblée après les Jeux Olympiques. S’il retrouve une majorité parlementaire dans les urnes, il sortira grand gagnant.
Y a-t-il trop «d’ex» dans la politique française?
Oui. Cela commence à être compliqué. Sur les 14 anciens premiers ministres encore vivants, onze bénéficient du soutien administratif et financier accordé par l’État (indemnités, paiement d’un secrétariat, remboursement des frais de transport annuels..). Deux anciens présidents de la République, François Hollande et Nicolas Sarkozy, sont aussi payés sur les deniers publics. Outre leur indemnité mensuelle d’environ 7000 euros, ils dépensent environ 250 000 euros chacun en frais divers, auxquels viennent s’ajouter le loyer de leurs bureaux, leur secrétariat et leurs agents de sécurité.
Cette profusion «d’ex» est assez nouvelle. Sarkozy, comme Hollande, ont refusé de siéger au Conseil constitutionnel, contrairement à Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac. Normal: l’un comme l’autre rêvent toujours d’un retour en politique.
Premier ministre à 34 ans, un «big bang» ?
Non. Emmanuel Macron a, avant tout, fait un coup de communication magistral en nommant à la tête du gouvernement le très jeune ministre de l’Éducation. Mais au-delà de Gabriel Attal, le gouvernement reste composé de politiciens chevronnés. La preuve? La surprise du 11 janvier est l’arrivée au ministère de la Culture de Rachida Dati, qui fut ministre de la justice de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2009. Il n’y a pas de «big bang». Il n’est d’ailleurs pas sûr que le jeune premier ministre parviendra à dominer les poids lourds de son gouvernement, comme le ministre des Finances Bruno Le Maire ou celui de l’Intérieur Gérald Darmanin. Ceux-là entretiennent une relation directe avec le président.
En 1984, Laurent Fabius, nommé premier ministre à 37 ans par François Mitterrand, avait connu une difficulté identique. Jusqu’à oser l’impensable: prendre ses distances avec le président avec sa fameuse formule «Lui, c’est lui, moi c’est moi». Il n’a, ensuite, jamais pu se présenter à la présidentielle dont il rêvait. Fabius préside aujourd'hui le Conseil constitutionnel.