Il devait symboliser le renouveau du Rassemblement National, l’ex Front national à la réputation sulfureuse de parti d’extrême-droite xénophobe, rétif à la démocratie et prompt aux coups de poing contre ses adversaires. Las. Le nouveau président du RN, qui sera élu ce samedi 5 novembre à la suite d’un vote national de ses quelque 80'000 adhérents, trouvera sur son bureau une bombe dégoupillée.
Jeudi 3 novembre, une insulte raciste proférée par l’un des 89 députés du mouvement contre un collègue noir de la France Insoumise, la formation de gauche radicale, a rouvert la polémique. Le député en cause, Grégoire de Fournas, député de Gironde, a écopé ce vendredi 4 novembre d'une suspension de 15 jours avec effet immédiat et d'une suppression de la moitié de son indemnité parlementaire pour deux mois. La sanction maximale, adoptée à l'unanimité des députés, sauf ceux du RN.
Les deux candidats à la présidence du mouvement, l’eurodéputé Jordan Bardella, 27 ans et le maire de Perpignan Louis Aliot, 53 ans, se retrouvent empêtrés dans ce que Marine Le Pen s’est battu pour effacer: la diabolisation de ce parti fondé, voici 50 ans, par le père de cette dernière, Jean-Marie Le Pen, 94 ans.
Mauvaises habitudes démocratiques
Difficile donc de tourner la page des mauvaises habitudes démocratiques. Ces fantômes sont de nouveau au premier plan. Lorsqu’il a été cofondé, voici un demi-siècle, ce parti alors groupusculaire, entouré de nostalgiques de l’Algérie française, de catholiques traditionalistes et même de quelques admirateurs de Mussolini et de Hitler, Jean-Marie Le Pen n’avait pas peur de la polémique. Au contraire. Cet ancien officier parachutiste, un temps élu député anti-gaulliste dans les années 50, est résolument dans le camp des putschistes d’ultradroite qui, en Amérique Latine notamment, défont les régimes républicains élus.
Le Pen père sent le souffre et il aime ça. Il ne veut pas du pouvoir. Très cultivé, entouré d’esprits brillants de la droite la plus conservatrice, le patriarche règne, depuis son château parisien de Montretout, sur une nébuleuse de mouvements jusqu’à son apogée: sa présence au second tour de la présidentielle de 2002, après avoir battu d’un cheveu au premier tour le premier ministre socialiste sortant Lionel Jospin. Jacques Chirac l’emporte ensuite par 82,21% des voix contre 17,79%.
Mais le Front national bascule alors dans le camp des adversaires politiques sérieux.
Génération Bardella
Vingt ans plus tard, le congrès du Rassemblement national - nouveau nom du mouvement depuis 2018 – devait achever cette mue qui doit beaucoup à la ténacité de Marine Le Pen, trois fois candidate à la présidentielle, et deux fois présente au second tour (battue par Emmanuel Macron en 2017 par 66,1% contre 33,9% , et en 2022 par 58,5% contre 41,5%).
La fille cadette de Jean-Marie Le Pen, avocate de formation, a compris que son parti doit être «dédiabolisé» et surtout que ses cadres doivent être rajeunis. Les obsessions de sa formation politique sont toujours les mêmes: lutte contre l’immigration, dénonciation des inégalités, défense des frontières, de l’ordre et de la sécurité. Son héritier se nomme Jordan Bardella, prodige politique issu d’une famille modeste de Seine-Saint-Denis, dans la banlieue parisienne.
Marine Le Pen le forme. Elle l’adoube. Elle le propulse sur le devant de la scène médiatique. Ironie de l’histoire: son opposant pour la présidence n’est autre que Louis Aliot, ancien compagnon de Marine à la ville. L’ex candidate à la présidentielle va donc, quel que soit l’élu des adhérents, laisser la présidence du RN à un intime. Jordan Bardella vit en effet avec l’une de ses nièces. Ce qui fait de lui, aussi, l’héritier du clan familial Le Pen.
La «génération Bardella» a le vent en poupe. En juin, l’élection de 89 députés, résultat inespéré, a propulsé le RN aux avant-postes de l’Assemblée nationale française. Résultat: tout dérapage devient encore plus difficile à maîtriser. Marine Le Pen a réussi à faire en partie oublier son soutien passé à Vladimir Poutine.
Le fait qu’un député RN, Grégoire de Fournas, ait lancé «Retourne en Afrique» ou «Qu’ils retournent en Afrique» à un collège à la peau noire en pleine discussion sur le sort des immigrés clandestins renvoie en revanche le parti à ses pires démons, même si la formulation exacte de l’insulte et sa portée (insulte raciste contre un député, ou incantation xénophobe contre les immigrés clandestins) peut prêter à discussion.
Finie donc la «dédiabolisation»! Bonjour le retour des caricatures et des doutes sur la nature de cette formation qui, électoralement, a pris possession de presque toutes les anciennes terres du parti communiste français.
Bonjour les sanctions parlementaires. Et bonjour le retour de l’histoire. On se souvient aujourd’hui que Jean-Marie Le Pen avait parlé de «détail» à propos des chambres à gaz et des camps de concentration nazis durant la Seconde Guerre mondiale. La popularité croissante du parti national populiste auprès de la jeunesse populaire se retrouve confrontée à une réalité: pour de nombreux cadres du RN, la population française multiculturelle ne passe toujours pas.
Les chances de Louis Aliot
Louis Aliot, vétéran de l’ex Front national, incarne pour sa part un parti davantage enraciné dans les territoires. Peut-il, s’il est élu, mener à bien cette normalisation dont Marine le Pen, candidate à l’Elysée en 2024 de façon quasiment certaine, reste porteuse, avec son discours très social, centré sur la défense du pouvoir d’achat? Cette dernière restera, de toute manière, la patronne du parti. C’est elle qui a choisi, lors de deux motions de censure récemment déposées par la gauche, de voter avec les élus de Jean-Luc Mélenchon.
Ironie politique absolue: le RN se retrouve aujourd’hui sanctionné pour avoir insulté un député de la gauche radicale à laquelle il mêle ses voix au parlement dans le seul but – pour l’heure, loin d’être atteint – de renverser le gouvernement d’Emmanuel Macron. Difficile, dans un pareil contexte, de contenir le retour en force médiatique et politique de la «diabolisation» anti-Lepéniste.