Le vélo, ce remède français
Sur le Tour entre Annemasse et Morzine: Ma journée avec la France qui va bien

Une journée sur le Tour de France entre Annemasse et Morzine. Rien de tel pour se souvenir que la France qui va bien existe. Au lendemain du 14 juillet, aller-simple pour un pays qui ne ressemble heureusement pas à ses blessures
Publié: 15.07.2023 à 21:13 heures
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Dernière mise à jour: 15.07.2023 à 21:23 heures
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Annemasse, samedi 15 juillet: toute la matinée, le village du Tour de France s'est installé au centre de la ville qui voisine Genève.
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

Je croyais avoir rendez-vous avec le chronométreur officiel du Tour de France, dont les coureurs dépendent pour chaque dixième de seconde au classement général. J’ai rencontré un pays en liesse, écrasé de chaleur, venu samedi 15 juillet dans la bonne humeur fêter son épreuve sportive reine.

Je ne savais pas à quoi m’attendre en acceptant l’invitation de l’horloger suisse Tissot, partenaire «montre en main» du Tour de France. J’espérais, au mieux, une belle journée de spectacle en montagne sur deux roues, entre Annemasse et Morzine, via le redoutable col (hors catégorie) de Joux Plane (Haute-Savoie). J’ai redécouvert qu’il faut peu de choses, peut-être rien, pour passer de la France des émeutes urbaines avec son inquiétante violence, à celle de la passion simple pour le vélo et ses champions, sur fond de magnifique décor alpin et de déluge de «goodies» distribués par la fameuse «caravane du Tour».

Réconciliation estivale

Antoine Blondin, chroniqueur sportif vénéré de la grande boucle dans les années 60, avait résumé d’une phrase la personnalité de cette compétition: «Il faut que les gens sachent que le moment est venu où l’on peut être pour l’un sans être contre l’autre, car ils sont désormais complémentaires dans le cadre de ce Tour de France inoubliable et se font mutuellement valoir.»

Bien vu. L’on peut, sans autre, appliquer cette maxime à ce pays qui, hors de cette réconciliation estivale à deux roues, s’emploie si souvent à monter les uns contre les autres.

J’ai regardé, depuis la voiture de course mise à notre disposition, les visages des spectateurs amassés sur les flancs des Alpes, leurs barbecues sauvages, leurs tables de campings pleines de charcutailles bien arrosées. Ils ont tapé sur notre capot pour réclamer casquettes, tee-shirts et montres, lesquelles ne sont pas données mais vendues, chaque matin, dans le «village du tour». Et je me suis dit, bêtement sans doute, que cette France-là a bien plus le moral que les sondages et nos reportages le disent.

Retrouvez l’étape Annemasse-Morzine

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Le miroir du pays tel qu’il est

La force du Tour de France, surtout lors d’une étape organisée juste après le 14 juillet et dans la foulée de semaines d’inquiétante effervescence urbaine, est qu’il est le miroir du pays tel qu’il est, loin de ses métropoles. Pas un pays mensonger. Pas un pays trompeur. Juste la France telle qu’on la voit à portée d’étapes, et encore mieux d’hélicoptère: superbe, gouailleuse et populaire.

Logique que tant de Suisses, mais aussi d’Allemands, d’Espagnols, d’Italiens ou de Scandinaves campent pendant des jours le long des routes départementales en attendant l’étape qui les rendra heureux.

Au passage de chaque col

Le prodige slovène Tadej Pogačar avait, ce samedi, ses fans munis de leurs drapeaux au passage de chaque col. Son adversaire, l’actuel Maillot Jaune Jonas Vingegaard, avait aussi sa tribu de supporters. J’ai vu deux adolescents pleurer, dans le creux d’un chemin, en apprenant que le champion français Romain Bardet, qu’ils attendaient avec son nom sur une banderole, a dû être évacué après une chute qui l’a poussé à l’abandon.

On ne suit pas le Tour de France comme une autre compétition. On la vit. Avec son ou ses champions, capables d’efforts surhumains pour passer en tête lorsque le sommet pointe, ou s’engager dans un sprint infernal à quelques centaines de mètres de l’arrivée.

Le dernier héritage de la France d’hier

Les plus cyniques diront que le Tour de France est le dernier héritage de la France d’hier: peu métissée, disciplinée, ralliée ensemble autour d’apéros géants sur le bord des routes.

Un autre romancier, Jean-Paul Dubois, a décrit ce pays-là dans «Une vie Française» (Ed. Points). Je ne l’ai pas inventé: son héros est un certain Paul Blick. Un jardinier au caractère mélancolique qui a grandi dans «un pays aujourd’hui bien plus englouti que l’Atlantide, un pays avec des sommiers de laine, des mobylettes jaunes, de l’huile d’olive vendue au détail, des bouteilles consignées, un pays où il n’y avait rien de louche ni de scandaleux à payer une voiture avec de l’argent liquide, lequel ne provenait pas de revenus illicites ou de bénéfices dissimulés au fisc, mais de longues années d’économies».

J’aurai pu réciter cette phrase de tête sur les pentes de Samoëns ou de Morzine, où les barrages de gendarmes ne sont pas accueillis par des tirs de mortiers. Enfin, une démonstration d’ordre et de discipline qui ne soit pas interprétée comme une volonté d’asservir ou d’opprimer.

Un pays qui n’existe pas

Je ne veux surtout pas brosser le tableau rose d’un pays qui n’existe pas. La France du Tour n’existe sans doute que sur ses routes, en juillet de chaque année, jusqu’aux Champs-Élysées. Elle se dissipe même chaque jour, en fin d’après midi, quand les huit coureurs de chaque équipe remontent dans leur bus qui ressemblent à des hôtels sur roues. Elle s’évanouit quand leurs vélos en carbone à 20'000 euros pièce remontent sur le toit des voitures des équipes, pour rejoindre la prochaine étape.

Antoine Blondin et le Tour de France

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Demain, dimanche 16 juillet, verra ceux qui ont survécu aux deux chutes collectives de l’étape Annemasse-Morzine rejoindre Les Gets à Saint-Gervais. Toujours les Alpes. La beauté et la douleur. L’effort érigé par cette foule de spectateurs en valeur suprême, religieusement applaudie lorsque le peloton apparaît au loin, étiré par les échappées, disloqué entre les plus faibles et les plus forts.

Je me demande pourquoi, dans l’autre France, celle de tous les jours, les mêmes mots reviennent sans cesse dans nos articles et dans les enquêtes: paresse, angoisse, peur de l’avenir.

Et j’ai compris en relisant «Une vie française». Dans ce pays forgé pour la critique et l’insatisfaction, le meilleur n’est pas fait pour durer: «Telle était ma famille de l’époque déplaisante, surannée, réactionnaire, terriblement triste. En un mot, française, se souvient le jardinier Paul Blick. Elle ressemblait à ce pays qui s’estimait heureux d’être encore en vie, ayant surmonté sa honte et sa pauvreté.»

Alors, ce Tour de France? J’écris ce reportage à Samoëns, au retour de Morzine. Et je réalise combien Antoine Blondin avait raison: «Je me suis étonné, écrivait-il en 1954, d’être dans cette caravane qui décoiffe les filles, pétrifie les gendarmes […] tandis que nous poussions notre troupeau de coureurs à travers des villages où les notables s’érigent en chefs d’îlot de l’enthousiasme. Je savourais la ferveur qui s’attachait à notre transhumance. Elle nous rappelle que l’art de vivre est d’abord un système de communication des êtres.»

Pourvu que l’autre France, loin du Tour et ses étapes, sache aussi s’en souvenir.

Remerciements à Tissot pour avoir convié Blick à cette quatorzième étape du Tour 2023 et merci à Kylian Patour, ex cycliste professionnel et formidable guide.

A lire:
«Une vie française» de Jean-Paul Dubois (Ed. Points)
«Antoine Blondin, la légende du Tour» de Jacques Augendre (Ed. du Rocher)
«Le tour de France et la France du Tour» par Béatrice Houchard (Ed. Calmann-Levy)

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