Accélérer. Caler. Négocier. Les possibilités d’Emmanuel Macron face à la mobilisation sociale massive déclenchée par son projet de réforme des retraites se résument à ces trois verbes. Rien de surprenant en soi. Mais pour chacune de ces options, tout peut aussi dépendre des modalités d’action et des choix effectués par le chef de l’Etat français qui présentait, ce vendredi 20 janvier, ses vœux aux armées. Avant d’être à nouveau défié dans la rue ce samedi par la «Marche pour les retraites» de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Explications.
Première option: Accélérer et imposer sa réforme
Emmanuel Macron n’est pas en première ligne sur ce dossier de la réforme des retraites. Il est celui qui bat la mesure et tranche, mais l’intendance et le suivi du dossier au quotidien incombent à la Première ministre Elisabeth Borne, haut fonctionnaire autrefois proche du Parti socialiste.
Pourquoi cette précision? Parce que s’il choisit d’accélérer, en mobilisant la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale et en s’assurant du soutien de la soixantaine de députés des Républicains pour faire voter son texte au printemps, le président français va envoyer au feu sa cheffe de gouvernement. C’est elle qui devra verrouiller le texte, une fois le débat parlementaire engagé, d’abord à l’Assemblée (qui a en France le dernier mot) puis au Sénat.
Le casting est pour cela assez bon: Elisabeth Borne est pugnace. Elle a, en plus, l’avantage de ne pas avoir de fief électoral à défendre, même si elle a été pour la première fois élue député du Calvados en juin 2022. Mais elle a un énorme problème: son manque de charisme, sa raideur, sa méconnaissance de la France profonde (même si elle a grandi en Normandie), son manque de réseau politique.
L’accélération est néanmoins possible, d’autant qu’en cas d’impasse parlementaire, l’article 49.3 peut permettre au gouvernement de passer en force en engageant sa responsabilité. Le calendrier d’une réforme des retraites qui entrerait en vigueur d’ici l’été sera alors tenu. Mais Emmanuel Macron n’aura plus qu’une solution pour achever son quinquennat: se rapprocher de la droite. Il pourrait même être tenté de nommer un Premier ministre issu de ce camp politique. Pour ses détracteurs, la «trahison» de cet ancien collaborateur du président socialiste François Hollande serait alors totale. Ceux qui estiment une réforme indispensable n’auront plus qu’à espérer que le calme social reviendra après la tempête.
Pronostic: 7/10: Le baromètre sera la prochaine manifestation des syndicats annoncée pour le 31 janvier, et la paralysie, ou non, du pays par les grèves.
Deuxième option: Caler, et en tirer les conséquences
C’est juste impensable, vu l’importance que le président français accorde à cette réforme qu’il présente comme «indispensable» pour sauver le modèle social français qui accumule les déficits et nourrit l'endettement. Mais en politique, on le sait, rien n’est impossible.
Un scénario permettrait à Emmanuel Macron, aujourd’hui le dos au mur face au million de manifestants de ce jeudi 19 janvier, d’être cohérent et fidèle à sa promesse de référendum: le retrait du projet actuel, et le retour aux urnes. En théorie, deux choix s’offrent à lui dans ce cas.
Le premier choix est celui de la dissolution de l’Assemblée nationale. Possible. Immédiat. Imparable. Avec, en ligne de mire, l’hypothèse d’une possible cohabitation si le camp présidentiel devait être battu. On sait que les Français ont, dans le passé, plutôt bien supporté la coexistence d’un président issu d’un camp et d’une majorité issue de l’autre. Ce fut le cas de la cohabitation Mitterrand-Chirac entre 1986 et 1988. Puis à nouveau avec Chirac-Jospin en 1997-2002. Dans les deux cas, le président sortant en a été le vainqueur puisqu’il fut réélu. Sauf qu’Emmanuel Macron, lui, ne peut pas se représenter après deux mandats.
Reste l’autre hypothèse: un référendum sur quelques réformes clés, dont celle des retraites. La Constitution donne au chef de l’Etat le pouvoir de consulter directement les électeurs. Macron miserait ainsi sur une présumée majorité silencieuse qui accepte le changement, mais n’ose pas le défendre dans la rue. Le risque, c’est que ce vote se transforme en plébiscite pour ou contre lui. Mais après tout, n'est-ce pas déjà le cas dans le dossier des retraites?
Pronostic: 4/10: Tout va dépendre des sondages d’opinion très précis qui sont sans doute sur le bureau présidentiel, à l’Elysée, et aussi du contexte international qui peut permettre à Macron de jouer «c’est moi ou les extrêmes».
Troisième option: Négocier, et désavouer sa Première ministre
Il est encore trop tôt pour que cette option soit prise au sérieux. Mais après tout, pourquoi ne pas mettre les syndicats et les partenaires sociaux au pied du mur et leur dire: «L’avenir des retraites, c’est vous. A vous de jouer.»
En France où la politique ignore le plus souvent la concertation, et où les décisions tombent d’en haut, ce choix serait audacieux. Il aurait pourtant du sens. Macron et son gouvernement fixeraient les paramètres avec leurs interlocuteurs. Un nouveau calendrier serait acté. Un négociateur indépendant et respecté serait nommé, en lien par exemple avec le Conseil national de la refondation crée... par le même Macron.
Ce choix reviendrait à désavouer la Première ministre Elisabeth Borne. Et alors? Pour Emmanuel Macron, son renvoi n’aurait pas de conséquences politiques, car celle-ci n’a pas de troupes. Pas sûr d’ailleurs que l’intéressée abandonne. Elle pourrait défendre son maintien sur le thème de la transformation sociale indispensable. Impératif: si ce choix est fait, il faut aller vite. Avant que toute discussion devienne impossible et que la rue réclame la tête du gouvernement.
Pronostic: 4/10: Mais peut changer rapidement. Les syndicats, qui ont retrouvé leur crédibilité avec cette bataille, gagneraient dans cet exercice une image de responsabilité.