Ils veulent frapper fort. Et pas seulement au sens figuré. Pour les syndicats français qui ont lancé l’appel à la grève générale ce jeudi 19 janvier, mettre Macron K.O est une obligation. Difficile, en effet, d’imaginer que le gouvernement retire son projet de réforme des retraites présenté le 10 janvier, si la mobilisation dans les rues n’est pas massive. Un million de manifestants dans tout le pays? C’est l’objectif asséné par les deux principaux syndicats, pour une fois unis: la CGT et la CFDT.
Un objectif à mettre en rapport avec leur très faible représentativité. Avec moins de 8% de salariés syndiqués, la France est en effet le bon dernier de l’Union européenne. A la veille de cette grève considérée comme le lancement de la bataille des retraites, 46% des Français interrogés affirment par ailleurs ne faire confiance «à aucun syndicat» selon un sondage réalisé par l’Institut Montaigne, classé à droite.
Macron, tel un boxeur
Emmanuel Macron, tel un boxeur convaincu de sa capacité à encaisser les coups, se tient le dos aux cordes, sur le ring social. Pour le président français, qui promet depuis sa première élection en 2017 de réformer les systèmes de retraite, une mobilisation décousue, voire décevante, serait une forme de victoire, même si elle n’empêcherait pas le pays de se retrouver paralysé. «La gauche profère des mensonges et des contrevérités» a-t-il affirmé lors du Conseil des ministres de ce mercredi 18 janvier, selon la presse.
Pourquoi parler de la gauche et pas des syndicats? Pour diviser. Une autre manifestation importante aura lieu samedi 21 janvier, à l’initiative de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Macron cherche dès lors à mettre les citoyens devant leurs responsabilités. Soit ils regardent en face le projet de réformes – qui prévoit de relever l’âge légal de départ à 64 ans au lieu de 62 ans, mais augmente les pensions de base et préserve certains régimes spéciaux (en particulier pour certaines catégories de fonctionnaires) – soit ils protestent et nient les courbes démographiques et financières qui, selon le gouvernement, conduisent le régime actuel par répartition à l’implosion programmée sous l’effet de l’allongement de la durée de la vie.
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Les syndicats veulent frapper fort. Mais le peuvent-ils? Pas sûr. Car leur logique d’affrontement est, dans les faits, très discutable. Impliqués dans la gestion du fameux modèle social français, la CGT, la CFDT et les six autres principales formations syndicales ont, de facto, avalisé de nombreux changements impopulaires. «Les syndicats ont participé, par la signature d’accords collectifs, à une politique d’austérité entraînant une dégradation des conditions de travail et d’emploi des salariés, relève une étude publiée en 2018 par le site The Conversation. De plus, les nouveaux systèmes de communication brouillent inlassablement la frontière vie professionnelle-vie personnelle, le «ronron» syndical n’est plus en adéquation avec ces salariés pressés, versatiles et souvent en déplacement».
En clair: la société française s’est atomisée. L’individualisme domine. Résultat, selon l’Institut Montaigne: 42% des Français estiment que les syndicats de salariés s’opposent trop au gouvernement, 31% juste ce qu’il faut et 25% pas assez. Un pays ainsi divisé peut-il se mobiliser massivement ce jeudi?
Les retraites, détonateur social parfait
La question des retraites en France est pourtant le détonateur parfait. Une arme sociale de protestation massive. 66% des Français interrogés dans un autre sondage (Elabe pour BFM TV) rejettent la réforme proposée. Laquelle, il faut le redire, sera présentée en Conseil des ministres le 23 janvier puis débattue au Parlement au printemps, avec l’espoir pour la majorité présidentielle de s’allier le soutien de la droite.
Sauf que la perspective d’un blocage du pays est, elle, impopulaire. 50% des interrogés désapprouvent la grève de jeudi puis la marche de samedi, dont 29% de ceux qui se disent contre le projet du gouvernement. Les syndicats se retrouvent, en somme, sur le fil du rasoir. Si les raffineries, les trains, les écoles et les transports se retrouvent paralysés… l’opinion peut se retourner contre eux. «Il y a encore une marge de manœuvre pour le gouvernement: celle de la pédagogie, jugeait cette semaine le politologue Frédéric Dabi, de l’institut IFOP. Les Français veulent être convaincus. L’embrasement social est la pire des options»
Des solutions aux problèmes
Notre éditorial de «Républick», la newsletter que Blick consacre chaque mardi matin à l’actualité française – abonnez-vous, c’est gratuit! – ne disait pas autre chose cette semaine. «Au-delà de l’opposition pure et simple au report de l’âge de la retraite, très impopulaire, la majorité des Français souhaitent des solutions à leurs problèmes. Ils s’accrochent au bonheur de la retraite, faute d’autre perspective prometteuse. Ils savent que l’argent public ne tombe pas du ciel, et que l’augmentation de l’endettement public n’est pas de bon augure. Et pourtant, ils ne croient pas le gouvernement capable de fermer le robinet à aides diverses».
Conclusion: le pari d’Emmanuel Macron est bien sûr qu’une grande partie des Français, plus résignés que révoltés, ne suivront pas cet appel au blocage, compte tenu des possibles conséquences sur l’économie (donc sur eux-mêmes), et plus généralement, sur la crédibilité de la France dans une Europe confrontée en Ukraine à l’une des plus graves crises de son histoire récente. La colère contre la résignation: le plus grave est sans doute là. Et pour cause: ni l’une, ni l’autre, aussi sincère soit-elle, n’est porteuse d’espoirs et d’alternatives.
Les brèches que Macron peut exploiter
D’autant que deux autres spécificités françaises peuvent être exploitées par Emmanuel Macron et la Première ministre Elisabeth Borne dans les jours prochains. La première est contenue dans le projet de réforme des retraites qui épargne quasi-totalement les retraités actuels et imminents (la première génération touchée sera celle née en 1965-1966). Ceux-ci peuvent ainsi s’estimer satisfaits et ils seront les premiers à râler si le pays est bloqué. Seconde spécificité, qui marche toujours: les syndicats sont avant tout implantés, en France, dans le secteur public. Or les fonctionnaires sont, comparativement, mieux lotis au niveau des retraites. C’est dans d’autres catégories sociales, comme les artisans, les agriculteurs, les employés du secteur des services que les progrès de la réforme proposée se feront sentir.
Le défi le plus terrible est au fond celui-ci pour les syndicats: mobiliser le plus possible. Sans couper davantage en deux une France déjà épuisée par ses fractures.