Les ministres de la Justice et de l'Intérieur, Didier Migaud et Bruno Retailleau, ont appelé vendredi à Marseille à «faire front commun» et à agir «vite» dans la lutte contre le narcotrafic, érigée en «cause nationale». Les deux hommes ont dévoilé leur plan contre la criminalité organisée dans la cité phocéenne, théâtre d'une guerre de territoire sanglante entre gangs de narcotrafiquants. Le garde des Sceaux s'est redit favorable à la création d'un «parquet national», permettant de lutter au-delà des stupéfiants contre la criminalité organisée.
Sans attendre que les parlementaires légifèrent sur cette nouvelle structure, Didier Migaud a annoncé la mise en place «dans les prochaines semaines» d'une «cellule de coordination nationale» au parquet de Paris, où les équipes travaillant sur la lutte contre la criminalité organisée au niveau national seront «renforcées de 40%».
Cours d'assises spéciales
A l'image de l'évolution ces dernières décennies de la législation antiterroriste, le ministre de la Justice a également dit envisager de faire juger les «crimes en bande organisée» liés notamment aux stupéfiants par des cours d'assises spéciales, composées uniquement de magistrats professionnels, et ainsi «éloigner le risque de pression exercée sur les jurés».
A son côté, Bruno Retailleau a notamment appelé à «transposer sur la criminalité organisée» des techniques d'enquête utilisées dans les affaires de terrorisme. Concernant les enquêteurs, les moyens de l'Office antistupéfiants (Ofast) seront aussi musclés, a promis le ministre de l'Intérieur.
Long «combat»
Après plusieurs fusillades meurtrières liées aux trafics de drogue, Bruno Retailleau avait jugé vendredi dernier que la France était à un «point de bascule» face au narcotrafic qui, selon lui, menace le pays de «mexicanisation». Il avait promis une «guerre» longue et sans merci contre ces trafics, dont le chiffre d'affaires est estimé entre 3,5 et 6 milliards d'euros par an en France.
«C'est un combat national qui prendra des années, 10, 15, 20 ans», a-t-il prévenu à Marseille, lors d'une conférence de presse avec Didier Migaud. Des mesures «immédiates» peuvent être prises directement par le gouvernement, d'autres nécessitent de «faire évoluer l'arsenal législatif», en passant par le Parlement, a souligné le garde des Sceaux.
Trouver le consensus des partis
Le Premier ministre Michel Barnier a confié à Migaud et Retailleau la recherche d'"un consensus transpartisan» à partir d'une proposition de loi sur le sujet, rédigée par les sénateurs Etienne Blanc (LR, Rhône) et Jérôme Durain (PS, Saône-et-Loire).
Le texte, qui doit être examiné le 27 janvier par le Sénat, propose notamment de recalibrer l'Office antistupéfiants (Ofast) en une véritable «DEA à la française», du nom de l'agence américaine de lutte contre la drogue, et de créer un parquet national antistupéfiants (Pnast). Il propose également d'améliorer le régime des repentis, qui collaborent avec la justice.
«Comme des terroristes»
La proposition de loi doit ensuite passer devant l'Assemblée. Bruno Retailleau s'est dit «certain», vendredi à Marseille, que «ce texte de loi trouvera une très large majorité». Avant de poursuivre leur déplacement chacun de leur côté, l'un auprès des policiers des quartiers Nord de la ville, l'autre à la prison des Baumettes puis au tribunal judiciaire, Bruno Retailleau et Didier Migaud ont échangé dans la matinée avec les familles de victimes d'assassinats liés au trafic de stupéfiants, à la préfecture des Bouches-du-Rhône.
«On a senti une réelle écoute, un réel intérêt», a souligné Laëtitia Linon, la tante d'un adolescent tué à 14 ans, qui s'est dite «pour» qu'on juge les «narcotrafiquants comme des terroristes». Cette proposition «ressemble à ce que fait l'Italie pour la mafia et ça marche».
Prévention et social
«On leur a dit qu'on attendait beaucoup en termes de prise en charge psychologique, de relogement, de l'accompagnement sur le long terme», a quant à elle expliqué Karima Meziene, avocate du collectif des familles. Elle a invité le gouvernement à ne pas oublier dans son plan de lutte «la prévention et le social».
«Il faut revoir les textes, les organisations et les moyens en réponse à une violence devenue sans limite, à la corruption des esprits et des pratiques, à la force de frappe financière des réseaux», a estimé auprès de l'AFP Franck Rastoul, procureur général de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
En 2023, 49 morts liés au narcotrafic avaient été recensés à Marseille, dont sept mineurs, un record. La plupart de ces meurtres avaient eu lieu sur fond de guerre de gangs liés à la drogue. Depuis le début de l'année, 17 narchomicides ont été décomptés dans la ville.