Exit C8 le 1er mars
Hanouna et TPMP sont-ils victimes d'un complot de la gauche médiatique?

Cyril Hanouna en veut à la gauche. L'animateur français de «Touche pas à mon poste» clame partout que la disparition de la chaîne C8, le 1er mars, est une décision politique et une atteinte à la liberté. De là à transformer ses «fanzouses» en base électorale.
Publié: 19:37 heures
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Cyril Hanouna mène, chaque soir sur la chaîne C8, l'un des talk-shows les plus populaires de France.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Un complot. Une atteinte à la liberté d’expression. Une crise politique majeure. Une attaque frontale contre l’Etat de droit. Vous en voulez encore? Il suffit, ces jours-ci, d’écouter Cyril Hanouna, 50 ans, tous les jours sur Europe 1, dans son émission «On marche sur la tête», pour se persuader que la France est une République bananière où la gauche fait la police médiatique au détriment de la démocratie. Motif: la disparition actée de la chaîne C8 ce samedi 1er mars. Et la fin simultanée de «Touche pas à mon poste» alias TPMP, l’émission culte du présentateur qui réunit chaque soir environ deux millions de téléspectateurs.

Hanouna, martyr de la liberté? Ainsi va la France où la droite radicale dispose désormais de relais médiatiques attitrés comme Europe 1, CNews, «Le Journal du dimanche» ou «Valeurs actuelles». Le vent trumpiste qui souffle depuis les Etats-Unis y joue, bien sûr, un rôle de première importance.

Infractions répétées

Qu’importent les prérogatives de l’ARCOM, l’Autorité française de régulation de l’audiovisuel qui attribue les fréquences TV et radio. Qu’importent les infractions répétées de l’animateur sur C8, condamnée à payer 7,8 millions d’euros d’amende pour ses frasques diverses. Qu’importe la condamnation de Cyril Hanouna par la justice, le 20 février, à 4000 euros d’amende pour insultes proférées sur son plateau en 2022 envers son ex-chroniqueur Louis Boyard, devenu député de La France Insoumise (LFI). On connaît l’antenne électorale de Donald Trump, que lui avait soufflé jadis son ex-avocat réactionnaire Roy Cohn «Fight, Fight, Fight!» (Bats-toi, Bats toi, Bats toi). Cyril Hanouna est en train de l’appliquer à la lettre.

Essayons donc de faire un état des lieux, vu de Suisse, c’est-à-dire d’un terrain télévisuel supposé neutre.

Liberté d’expression, vraiment?

Cyril Hanouna prétend incarner la liberté d’expression. Pourquoi? Au nom de son audience – il est vrai massive –, qu’un seul autre talk-show, Quotidien de Yann Barthès (l’ennemi cathodique désigné de TPMP), dépasse régulièrement. Exemple des arguments? La bienséance politique. «La liberté d’expression c’est quelque chose de droite. C’est plus quelque chose de gauche, en fait» assène la chroniqueuse de l’émission Géraldine Maillet. «C’est une chaîne qu’on abat. L’éviction de C8, pudiquement qualifiée de «régulation» par l’Arcom, montre une fois de plus que la bien-pensance dominante étouffe les opinions discordantes» écrit Pascal Praud, l’animateur vedette de CNews.

Cyril Hanouna auditionné par les députés

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«Une boussole pour la liberté d’expression en France» confirme l’hebdomadaire Le Point. Le PDG de Canal Plus Maxime Saada va même plus loin: «La décision de non-renouvellement de C8, première chaîne de la télévision numérique terrestre est une décision arbitraire de l’Arcom, dont l’une des missions est pourtant d’accompagner les transformations du paysage audiovisuel et numérique» a-t-il dénoncé au Sénat.

Ouest-France, le remplaçant

Deuxième acte maintenant: de quelle liberté parle-t-on? Cyril Hanouna était-il, comme il le prétend, indispensable au débat public en France? Doit-on considérer que le remplacement de la chaîne C8 par Ouest France TV, nouvellement créé par le premier quotidien national du pays, est la preuve d’un autoritarisme croissant? Stop.

D’abord parce que l’animateur, gros pourvoyeur d’audience, s’exprime tous les jours sur Europe 1 et devrait très vite retrouver une fréquence TV (on parle du groupe M6). Il n’est donc en rien interdit d’antenne. Ensuite parce que la voix d'Ouest-France, dans un paysage télévisuel privé français très concurrentiel, vaut largement celle de Cyril Hanouna en termes de diversité, de liberté d’expression et d’opinion. En tirage cumulé, toutes éditions confondues, ce quotidien basé à Rennes atteint les 800'000 exemplaires. Il est enraciné dans ces régions de diffusion. Dans un pays aussi excessivement centralisé que la France, n’est-ce pas prioritaire de sortir de Paris?

Une affaire financière

L’affaire, pour résumer, n’est pas une histoire de liberté au sens strict. Elle est politique et financière.

Politique, parce qu’il est vrai que les personnalités classées à gauche ou proches d’Emmanuel Macron dominent le paysage audiovisuel public français. Dans ce cas précis, Martin Adjari, le nouveau patron de l’ARCOM, le gendarme de l’audiovisuel, est le fils d’une ex-députée européenne socialiste, qui a été conseiller de l’ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius avant de diriger le cabinet de la ministre PS de la culture en 2014-2015. Cyril Hanouna n’a dès lors pas complètement tort. L’indépendance de cette institution supposée indépendante est discutable. Son rapport au pouvoir en place pose question (ce qui demeurera si la droite dure venait un jour au pouvoir en France). On peut aussi citer la patronne de Radio-France Sybille Weil, très proche d’Emmanuel Macron.

Carnet de chèques

Financière, parce que Cyril Hanouna, alias «Baba» pour ses «fansouzes» est avant tout un homme d’affaires lié avec le milliardaire breton Vincent Bolloré qu’il défend bec et ongles. Le Huffington Post a raconté leur relation dans un article publié en mars 2024: «Hanouna a créé en 2010 sa seconde société de production H2O Productions avec le fils du milliardaire, Yannick. De plus, l’animateur est actionnaire de la société de production télé Banijay (qui gère H2O). L’entreprise Vivendi, pilotée par Bolloré, est justement l’un des actionnaires principaux de Banijay. Le lien entre le grand patron et l’animateur star est si fort qu’au fil des saisons, ce dernier, au-delà de simplement payer les amendes, n’hésite pas à recourir à son carnet de chèques pour conserver son poulain à l’écurie.»

Et l’hebdomadaire de poursuivre: «En 2015, comme il l’avait lui-même annoncé devant le CSA, Vincent Bolloré avait déboursé la coquette somme de 250 millions d’euros (50 millions par an) pour s’assurer que Cyril Hanouna reste 5 ans de plus sur C8, multipliant ce faisant le précédent contrat de son animateur-star par 2,5.» Fermez le ban. La disparition de C8 endommage les finances des deux hommes qui avaient beaucoup investi. C’est aussi une restructuration d’entreprise compliquée, avec environ 400 employés à bord. Mais la défense de la liberté a bon dos quand on connaît, dans l’empire Bolloré (négoce, finance, médias), les habitudes de licenciements sans états d’âme.

Mécanique rodée

La mécanique est rodée. En s’érigeant en martyr de la démocratie télévisuelle française, Cyril Hanouna bat le rappel de ses fans, délégitime le régulateur de l’audiovisuel, fait monter les enchères pour sa prochaine émission et enfle la vague de colère sur laquelle il compte bien surfer pour rebondir. Rien de neuf sous le soleil cathodique. Il s’agit, pour «Baba» de se vendre au meilleur prix, en rappelant au passage aux politiques – par exemple au ministre de la Justice Gérald Darmanin, qu’il avait plutôt bien interviewé dans «Face à Baba» – qu’ils feraient mieux de le ménager s’ils veulent, demain, revenir sur son plateau.

Un chantage présidentiel?

En bon français, cela se nomme du chantage. Et cela peut aussi déboucher sur une vocation politique. L’hebdomadaire «Marianne» y voit même le début d’une vocation. Selon ce journal, Cyril Hanouna envisagerait de se présenter à l’élection présidentielle de 2027. La chasse aux parrainages d’élus nécessaires serait même lancée.

«Baba Président»? L’un de ses proches a confié à «Marianne» que ses modèles seraient l’Italien Beppe Grillo, fondateur du mouvement 5 étoiles et le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Deux humoristes de profession qui se sont tournés vers la politique pour y jouer un rôle national. De quoi inquiéter tout prétendant à l’Elysée.

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