Fracture sociale et vaccinale
Pass sanitaire en France: une «double peine» pour les plus pauvres?

L'extension du pass sanitaire en France fait craindre à de nombreux acteurs sociaux qu'elle «exclue davantage» les plus démunis. Ils sont déjà moins vaccinés que le reste de la population.
Publié: 05.08.2021 à 08:47 heures
Photo: AFP
ATS

Responsable du Secours populaire dans le Puy-de-Dôme (centre), Nicole Rouvert a vécu comme un déchirement qu'une famille reste à la porte du bus lors d'une sortie récente dans un parc animalier organisée par l'association caritative. «Ces gens n'ont pas pu venir car ils n'avaient pas de pass.»

«Il faut que tout le monde puisse se faire vacciner mais il faut faire plus de pédagogie et ne pas infliger une double peine à des personnes qui déjà se privent de tout», confie-t-elle à l'AFP.

«Risque d'exclure davantage»

Face à la flambée de l'épidémie de Covid-19, qui a fait plus de 112'000 morts en France, le pass sanitaire — test Covid négatif récent, attestation de vaccination ou certificat de rétablissement — est entré en vigueur le 21 juillet dans les «lieux de loisirs et de culture» rassemblant plus de 50 personnes.

Il doit être étendu dès le 9 août aux cafés, restaurants, trains grandes lignes et vols intérieurs, ainsi qu'aux patients non urgents et visiteurs dans les établissements de santé et maisons de retraite. Sous réserve de la décision attendue jeudi du Conseil constitutionnel, saisi par des députés de gauche. Ces derniers contestent une généralisation «disproportionnée» du pass, marquant «plusieurs ruptures du principe d'égalité».

Pour le député communiste de Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, un des départements les plus pauvres de France, Stéphane Peu, «le pass sanitaire risque d'exclure davantage». Au sein des entreprises, où «la loi introduit également dans le code du travail une différenciation entre les salariés en CDD ou intérimaires et les autres, avec une menace de perte sèche d'emploi» en cas de non-vaccination.

Également à l'école avec un nouveau protocole sanitaire qui va «accroître encore un peu plus les inégalités sociales», seuls les collégiens et lycéens non-vaccinés devant suivre les cours à distance si un cas de Covid était détecté dans leur classe.

Fracture vaccinale

«La Seine-Saint-Denis est le département le plus contaminé et le moins vacciné, pas parce qu'il y a plus d'antivax mais tout simplement parce qu'il y a une carte des inégalités sociales qui marque une sous-vaccination dans un département où 30% des habitants n'ont pas de médecin traitant», insiste Stéphane Peu.

La Défenseure des droits Claire Hédon a soulevé dix points d'alerte à propos de l'extension du pass sanitaire, dans un document publié le 20 juillet. Parmi ses préoccupations: «les personnes en situation de pauvreté pourraient être doublement victimes».

«La carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l'accès aux services publics. Les nouvelles mesures comportent ainsi le risque d'être à la fois plus dures pour les publics précaires et d'engendrer ou accroître de nouvelles inégalités», souligne Claire Hédon. Elle s'interroge «sur les moyens supplémentaires qui seront mis en place pour toucher les personnes en situation de pauvreté».

Dans Le Monde du 25 juillet, le géographe de la santé Emmanuel Vigneron s'appuyait sur les dernières données de l'Assurance maladie pour mettre au jour une triple «fracture vaccinale» d'un territoire bien vacciné dans l'Ouest et le Nord et en retard dans le Sud-Est, mieux dans les villes qu'aux périphéries et plus fortement dans les communes aisées que dans les plus défavorisées.

«Obligation vaccinale déguisée»

«Le pass sanitaire est une obligation vaccinale déguisée, discriminant les non vaccinés», a estimé mercredi l'organisation humanitaire Médecins du Monde qui a rappelé dans un communiqué que les publics qu'elle accompagne, «depuis longtemps exclus du soin, vont subir de plein fouet ces mesures discriminatoires si elles sont appliquées».

Une étude du service statistique des ministères sanitaires et sociaux parue en juillet montre que les personnes pauvres ont trois fois plus de risques de renoncer à des soins que les autres.

«Il faut plus de moyens pour aller vers ces personnes et les convaincre», insiste Franck Dubois, responsable des solidarités familiales au Secours catholique. «Le pass sanitaire enfante les inégalités: les pouvoirs publics, en voulant nous protéger, ne font que les accroître».

(ATS)

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