Les automobilistes qui ont dû faire le plein cette semaine n’en croyaient pas leurs yeux: du jour au lendemain, le litre d’essence avait augmenté de 25 centimes. Au restoroute de Würenlos (AG), le litre de sans-plomb 95 coûte à présent parfois plus de 2,30 francs. Pour le diesel, il faut même débourser plus de 2,60 francs à certains endroits.
Rolf Galliker, chef de Galliker Transport AG, doit remplir les réservoirs de 1165 camions, et ce, plusieurs fois par semaine. L’explosion des prix de l’essence ne lui donne pas pour autant des insomnies: «Nous pouvons répercuter la hausse du prix du diesel sur les clients. Même pour les contrats fixes, nous avons – comme la plupart des autres entreprises de transport – un supplément variable pour le carburant, qui est actualisé chaque semaine et adapté chaque mois.»
Les entreprises qui sont livrées facturent à leur tour les frais de transport plus élevés à leurs clients. Selon le produit, c’est plus ou moins dramatique. Galliker explique: «Pour un téléviseur à écran plat ou un ordinateur portable, les frais de transport n’ont pas vraiment d’impact sur le prix en magasin. En revanche, pour les produits alimentaires, en particulier les produits frais, une forte hausse du prix du carburant pèse tout à fait dans la balance.»
Flambée du prix des matières premières
La hausse du prix de l’essence est en partie due à Vladimir Poutine. Sa guerre contre l’Ukraine n’entraîne pas seulement des souffrances incroyables pour la population civile ukrainienne, elle fait également grimper les prix des matières premières à des niveaux insoupçonnés, et cela ne se limite pas au pétrole et au gaz. Il n’y a guère de ressources naturelles dont le prix n’ait pas sensiblement augmenté ces derniers jours.
Patrick Villiger, directeur d’Aluminium Laufen à Liesberg (BL) a également pu constater cette tendance. «C’est incroyable ce que nous vivons actuellement. Le prix de l’aluminium a explosé, les marchés sont devenus fous», explique-t-il lors d’une visite de l’usine. Il y a quelques semaines, une tonne de ce métal léger coûtait encore autour de 2600 dollars. Cette semaine, elle a parfois dépassé les 3800 dollars.
Une hausse peu profitable pour les clients
À court terme, Alu Laufen devrait profiter de cette hausse des prix. Elle a 4000 tonnes d’aluminium en stock, qui valent désormais nettement plus qu’avant le début de la guerre. Et même à plus long terme, Patrick Villiger ne s’inquiète pas pour l’entreprise et ses 280 employés: «Nous pouvons répercuter la hausse des prix des métaux sur nos clients.»
Parmi eux, on compte environ 1200 entreprises de toutes tailles, dont la plupart sont basées en Suisse ou dans les pays limitrophes. Pour elles, Alu Laufen coule et presse des pièces en aluminium pour réaliser toutes les formes possibles et imaginables.
La question de savoir si ses clients répercutent ensuite les coûts plus élevés sur leur clientèle respective est très variable, explique le patron d’Alu Laufen. «Pour certains produits, les consommateurs doivent toutefois s’attendre à des prix plus élevés de 10 à 20%, comme pour les fenêtres et autres composants de construction.»
Les pauvres sont les plus touchés
La guerre en Ukraine a également des conséquences de grande ampleur sur les productions alimentaires. Les céréales comme le blé et le maïs étaient déjà relativement chères ces derniers mois. Mais depuis l’attaque russe, les prix ont explosé. La Russie et l’Ukraine sont considérées comme les greniers de l’Europe. 30% des exportations mondiales de blé proviennent de ces pays. Pour l’orge, le maïs et l’huile de tournesol, ils détiennent également des parts élevées du marché mondial.
C’est pourquoi les responsables du Programme alimentaire mondial des Nations unies ont lancé un avertissement dès le début de la guerre: «L’impact du conflit sur la sécurité alimentaire se fera probablement sentir au-delà des frontières de l’Ukraine, en particulier pour les plus démunis.»
La Suisse à l’abri… pour l’instant
Pour les riches consommateurs de la Suisse, en revanche, les conséquences de la guerre devraient rester supportables. Urs Riedener, CEO du transformateur de lait Emmi, a toutefois mis en garde la semaine dernière contre un effet domino. «S’il y a des pertes de récolte, par exemple de blé, cela aura un impact sur les prix de différentes denrées alimentaires», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse annuelle. En effet, si le blé venait à manquer, les gens devraient couvrir leurs besoins en calories d’une autre manière, par exemple avec des produits laitiers, au lieu de manger du pain et des pâtes. Cela pourrait alors faire grimper les prix.
Un premier pas dans cette direction sera fait dès la mi-avril. À partir de cette date, le prix indicatif du lait en Suisse augmentera de cinq centimes pour atteindre 78 centimes par litre. Les producteurs laitiers justifient cette mesure par l’augmentation des coûts des machines, du fourrage, des carburants, des médicaments, de l’énergie et de l’entretien des bâtiments.
L’inflation n’aide pas
Par ailleurs, l’inflation en Suisse a déjà nettement augmenté ces derniers mois. En février, le renchérissement annuel est repassé au-dessus de la barre des 2% pour la première fois depuis 13 ans. Outre la hausse des prix de l’énergie, des effets de la pandémie de Covid-19 ont également joué un rôle.
Les voitures d’occasion et les meubles, en particulier, ont fait l’objet d’une demande accrue pendant la pandémie. En même temps, ils ont été touchés par les goulots d’étranglement mondiaux en matière de livraison. Les prix des voyages en avion et des nuitées d’hôtel ont également fortement augmenté récemment. Ces services touristiques sont redevenus nettement plus populaires depuis que la situation pandémique s’est améliorée.
Une hausse prévue pour durer
Il ne faut pas s’attendre à ce que la pression sur le porte-monnaie s’atténue bientôt. La Confédération s’attend à ce que l’inflation reste élevée dans les prochains mois, voire qu’elle augmente encore temporairement.
Toutefois, en comparaison internationale, les consommateurs suisses ont encore de la chance. Dans la zone euro, le niveau des prix était même de 5,8% plus élevé en février 2022 que douze mois auparavant. La Suisse est notamment aidée par un franc fort et une dépendance relativement faible au pétrole et au gaz.
(Adaptation par Lliana Doudot)