Cela ressemble à une idylle au cœur de l'Afrique. Des bateaux, généralement en bois, transportent des passagers d'un côté à l'autre du lac Kivu, qui s'étend à la frontière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Des pêcheurs jettent leurs filets, un ferry sillonne la région. Ici, le monde est encore serein, pourrait-on penser.
Mais ce n'est pas le cas. Et ce n'est pas seulement dû aux conflits auxquels se livrent régulièrement les militaires du Congo démocratique et du Rwanda (ce n'est qu'en août dernier qu'un cessez-le-feu a été conclu après deux ans et demi). Ici, la nature est plus dangereuse qu'on ne le pense.
Des millions de personnes pourraient mourir
Dans le lac Kivu, dont la profondeur peut atteindre 480 mètres, sommeille un danger qui pourrait changer à jamais la vie des personnes qui s'installent sur ses rives. Les experts, eux, mettent en garde contre ce risque depuis longtemps. Car d'énormes quantités de dioxyde de carbone et de méthane sont stockées sous la surface du lac Kivu.
Les scientifiques craignent ce qu'on appelle une éruption limnique dans l'eau. Les gaz nocifs pour l'environnement se détacheraient alors en masse et remonteraient à la surface, entrainant des conséquences dramatiques: Près de deux millions de personnes pourraient être tuées en quelques minutes.
Le volume de production de méthane multiplié par cinq
Selon les chercheurs, 300 kilomètres cubes de dioxyde de carbone et 60 kilomètres cubes de méthane sont piégés dans le lac, comme le rapporte la revue spécialisée «Nature». L'équivalent de 2,6 gigatonnes de dioxyde de carbone, ce qui correspondrait à 5% des émissions annuelles de gaz à effet de serre au niveau mondial.
En cas de libération de ces gaz, les habitants des rives seraient asphyxiés dans d'atroces souffrances. Les experts craignent qu'un tremblement de terre ou une éruption volcanique ne déclenche cette grande catastrophe naturelle. Les glissements de terrain et l'abaissement du niveau de l'eau font également partie des facteurs de risque. Deux volcans actifs se trouvent à proximité directe du lac.
L'avidité humaine pourrait constituer un autre danger. Le méthane stocké dans le lac, s'il est extrait de manière contrôlée, vaut une fortune. Au cours des 50 prochaines années, on pourrait extraire du méthane pour une valeur équivalente à 36,5 milliards de francs. Aujourd'hui, le gaz est utilisé pour maintenir la stabilité de l'approvisionnement énergétique dans la région. Dans les prochaines années, la quantité extraite devrait être multipliée par cinq.
Eruption limnique au Cameroun: 1700 morts
Certains scientifiques craignent ces projets d'exploitation. L'extraction du méthane pourrait nuire au fragile équilibre du lac Kivu, ce qui pourrait conduire, dans le pire des cas, à une méga-explosion.
Un exemple tiré de l'histoire montre à quoi peut ressembler une éruption limnique. En août 1986, une telle éruption s'est produite dans le lac Nyos au Cameroun. Elle a entraîné la mort par asphyxie de 1700 personnes. 3500 animaux sont morts.
Toutefois, selon une étude de l'Institut suisse de recherche sur l'eau (EAWAG), la teneur en méthane du lac Kivu a augmenté de 15% entre 1975 et 2005. Si cette tendance se poursuivait, l'eau atteindrait sa saturation naturelle en méthane au plus tard en 2090. Une éruption serait alors inévitable.