Pendant longtemps, elle a été la femme forte aux côtés de l'éminent critique du Kremlin. Mais depuis la mort d'Alexeï Navalny, Ioulia Navalnaïa a décidé de prendre le relai du combat de son défunt mari. «Je continuerai à me battre pour la liberté de notre pays», a promis lundi la veuve de l'opposant russe dans un message vidéo. Elle a appelé les partisans de son mari à la soutenir dans cette démarche.
«La chose la plus importante que nous puissions faire pour Alexeï et pour nous-mêmes, c'est de continuer à nous battre, plus désespérément et plus âprement que nous ne l'avons fait jusqu'à présent», a déclaré la veuve. Dans sa ligne de mire, le président russe Vladimir Poutine, à qui elle reproche d'être responsable de la mort de son mari. Poutine a «tué» Navalny, a-t-elle déclaré.
Sur Navalny
L'espoir d'une «Russie meilleure»
La toute première apparition de Ioulia Navalnaïa après le décès de son mari a marqué les esprits. Quelques heures après que l'annonce de la mort de son conjoint de 47 ans dans un camp de détention, la veuve a pris la parole publiquement lors de la conférence sur la sécurité de Munich.
L'intervention de la nouvelle opposante aurait initialement dû tourner autour de l'espoir d'une «Russie meilleure», mais le décès de son mari a tout bouleversé. Au lieu de rentrer chez elle, la Russe a décidé, selon ses propres mots, de rester: c'est ce que son mari aurait fait s'il était encore en vie.
«Si c'est vrai, je veux que Poutine, son personnel, tout son entourage, tout son gouvernement, et tous ses amis sachent qu'ils seront punis pour ce qu'ils ont fait à notre pays, à ma famille et à mon mari», a-t-elle déclaré, la voix tremblante. «Et ce jour arrivera très bientôt.»
Ioulia Navalnaïa, une femme des chiffres
Mais qui est véritablement cette femme forte et courageuse? A la base, Ioulia Navalnaïa est une femme des chiffres. Elle a étudié l'économie en Russie avant de travailler pour une banque à Moscou. En 1998, elle fait la connaissance d'un jeune avocat du nom d'Alexeï Navalny dans une station balnéaire en Turquie. «Il a tout de suite pensé que je devais devenir sa femme», raconte-t-elle. Aussitôt dit, aussitôt fait. Deux ans plus tard, le couple se marie.
Leur fille Daria nait deux ans après cette union. L'économiste, désormais mère, quitte peu après le monde du travail pour se consacrer à sa famille – et pour soutenir son mari et sa lutte pour une Russie libre. Elle est active en arrière-plan, dans l'ombre de son mari Alexeï à qui elle prête main forte dans pratiquement tous les domaines. Ses discours, ses projets, ses valeurs: le combat de Navalny n'aurait pas été le même sans les contributions de sa femme.
«Rien n'est difficile quand on aime»
Aux côtés de son mari, Ioulia Navalnaïa porte les valeurs des grandes manifestations initiées par l'opposant en Russie. En 2020, elle emmène son mari en Allemagne pour le guérir après son empoisonnement qui le plonge dans le coma pendant plusieurs jours. Quelques mois plus tard, à peine rétabli, Navalny revient en Russie la tête haute et se fait arrêter dès son atterrissage à Moscou. Mais Ioulia Navalnaïa continue de le soutenir coûte que coûte.
Bien que les autorités russes aient condamné son mari à 19 ans d'incarcération dans de terribles conditions, la Russe de 47 ans n'a jamais perdu espoir. Elle croit dur comme fer en la libération de son mari, avait-elle déclaré l'année dernière au magazine «Spiegel»: «Rien n'est difficile quand on aime.»
Un avenir de femme politique
Ioulia Navalnaïa a été un véritable pilier pour Navalny. Il le dit lui-même: sans sa femme, il n'aurait pas pu tenir son combat acharné contre le Kremlin et Poutine. La dernière intervention publique de l'opposant était d'ailleurs destinée à sa chère et tendre à l'occasion de la Saint-Valentin. «Je sens que tu es proche de moi à chaque seconde», pouvait-on lire dans son message.
Contrairement à Poutine, dont la vie privée est considérée comme un secret d'État en Russie, le couple Navalny s'est toujours affiché publiquement. Avec le temps, Ioulia Navalnaïa est ainsi devenue une personnalité publique au même titre que son mari. Les compagnons de route d'Alexeï Navalny auraient même rêvé d'un avenir en politique pour elle, avant même que son mari ne se retrouve derrière les barreaux. Elle-même aurait rejeté cette idée, en soulignant qu'elle était avant tout une mère et une épouse.
Son destin d'opposante est tracé
Après l'empoisonnement de son conjoint en août 2020, Ioulia Navalnaïa s'était battue pour que son mari soit soigné en Allemagne plutôt qu'en Russie. Pendant des jours, les médecins russes ont refusé, avant de céder et de laisser partir le critique du Kremlin pour Berlin. «A chaque seconde, je pensais 'je dois le faire sortir d'ici'», raconte la mère de famille.
Cinq mois plus tard, Ioulia Navalnaïa fait à nouveau preuve de courage lorsqu'elle et son mari retournent à Moscou, en sachant pertinemment que leur voyage se terminerait en prison. «Serveur, apportez-nous de la vodka, nous rentrons à la maison», aurait déclaré la Russe pendant le vol, citant une réplique d'un film culte russe. Après l'atterrissage, le couple se fait séparer au contrôle des passeports. Les amants ne se reverront que plus tard, au travers d'un parloir.
La mort d'Alexeï Navalny a soulevé beaucoup de questions: qui, en dehors de Ioulia Navalnaïa, pourrait rassembler derrière elle l'opposition russe, décimée par d'innombrables arrestations ou contrainte à l'exil, en tant que figure de proue? Pour la politologue Tatiana Stanovaya, la réponse est claire: «Que Ioulia Navalnaïa le veuille ou non, elle deviendra une personnalité politique.» Et elle est bien partie pour le devenir. Lundi, la veuve a participé à une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE à Bruxelles. La première d'une longue série?
(avec l'AFP)
