L'affaire est digne des plus grands films d’espionnage. Le «Guardian» rapporte qu'une agent russe a été démasquée à la suite d'une enquête menée par la plateforme d’investigation Bellingcat et d’autres médias tels que «La Repubblica» ou «Der Spiegel».
L’espionne, qui se faisait appeler Maria Adela Kuhfeldt Rivera, était auparavant passée par Rome, Malte et Paris, avant de s’établir à Naples vers 2013. La Russe se disait d’origine allemande par son père et péruvienne par sa mère. Dans la ville italienne, elle avait ouvert une boutique de bijoux appelée «Serein». Aujourd'hui, elle serait partie précipitamment, sans que l'on sache où elle se trouve.
Amitié avec des employés de l'OTAN
Selon l'enquête, elle est aussi devenue secrétaire de la branche napolitaine du Lions Club international. C’est ainsi qu’elle a pu se lier d’amitié avec de nombreux employés de l’OTAN, membres du club. Il faut dire que le choix de cette ville n'est pas anodin: le siège du Commandement des forces interarmées alliées de l'OTAN se trouve dans la cité de Campanie. La bijoutière de façade faisait ainsi régulièrement la fête avec le personnel en place. Un employé a même déclaré avoir eu une brève relation amoureuse avec l’espionne, selon le «Guardian».
Tout ce petit monde ignorait alors qu’il mettait dans le secret une espionne sous couverture du GRU, le service de renseignement militaire russe. Officier de carrière au sein du service, l'agent était une «clandestine», au sens où l'entend le milieu du renseignement, c’est-à-dire un agent d’infiltration formé pour se faire passer pour un étranger. Ce procédé est utilisé par le Kremlin depuis l’époque soviétique. Les agents clandestins restent parfois sous leur fausse identité pendant des dizaines d’années.
Un passage de frontière révélateur
Selon les explications du «Guardian», il était difficile autrefois de démasquer les agents clandestins. Désormais, avec les nombreuses avancées technologiques - comme la reconnaissance faciale par exemple ou les données biométriques - il devient complexe pour la Russie de réussir à garder ses espions sous le radar.
Christo Grozev, PDG et principal enquêteur de Bellingcat, a expliqué dans une interview qu'il avait pu trouver des traces d'éventuels clandestins du GRU en consultant une base de données enregistrée par des gardes-frontières biélorusses. Celle-ci regroupe les passages de frontière de nombreux individus et a été divulguée par un groupe de pirates informatiques opposés au régime d'Alexandre Loukachenko.
L'enquêteur a alors recherché des numéros de passeport russe dans la base de données à des dates connues pour avoir vu passer des agents du GRU. C'est ainsi qu'il a trouvé le nom de Maria Adela Kuhfeldt Rivera.
Pour expliquer ses papiers d'identité russes à son entourage napolitain, l'espionne expliquait que sa mère péruvienne l'avait emmenée en Union soviétique à l'époque, et l'y avait abandonnée.
Voyage avec un passeport russe
Christo Grozev a également découvert que l'espionne avait acheté un billet pour un vol de Naples à destination de Moscou en septembre 2018. Fait inhabituel, elle a voyagé avec un passeport russe, alors que les clandestins dissimulent la plupart du temps leurs liens avec la Russie ou l'ex-Union soviétique.
Un document officiel péruvien datant de 2006 indique en outre que sa demande de citoyenneté a été rejetée pour cause de fraude. Cela expliquerait pourquoi elle a tout de même pris le risque de voyager avec sa nationalité d'origine.
En effet, le GRU a décidé de garder l'identité de «Maria Adela Kuhfeldt Rivera» pour l'espionne, avec un passeport russe. Cette décision était osée, mais il est possible, toujours selon le «Guardian», que l'espionne avait déjà noué de précieux contacts sous cette identité et qu'elle n'ait pas voulu les perdre.
Un cancer en guise d'explication
La plateforme d'investigation Bellingcat a déclaré avoir identifié la véritable femme russe qui se cachait derrière la fausse bijoutière. Des informations et des photos provenant de diverses bases de données et de recherches ouvertes ont permis d'établir son profil.
Maria Adela Kuhfeldt Rivera aurait expliqué son départ soudain de Naples par un message sur ses réseaux sociaux. En raison d'un cancer, elle aurait été obligée de quitter la ville précipitamment: «C'est la vérité que je dois enfin révéler... Les cheveux poussent désormais après la chimio, très courts, mais ils sont là. Tout me manque, mais j'essaie de respirer», a-t-elle écrit.