Les Philippines voient monter en flèche le nombre d'infections au VIH, à rebours de la tendance mondiale, une situation que les experts attribuent aux applications de rencontre, une éducation sexuelle déficiente et à des discriminations envers les séropositifs, dans un pays profondément catholique.
Moins d'1% des 110 millions d'habitants du pays ont été diagnostiqués séropositifs. Mais l'archipel d'Asie du Sud-Est connaît l'une des croissances de l'épidémie les plus rapides au monde, selon les données onusiennes.
Les ados de plus en plus touchés
Les autorités sanitaires philippines observent une accélération chaque année du nombre de personnes testées positives au VIH et craignent que les cas ne doublent pour atteindre plus de 400'000 d'ici 2030. La grande majorité des nouvelles infections concernent des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, et des femmes transgenres. Les adolescents sont aussi de plus en plus touchés.
«C'est alarmant car cela montre que nous ne contrôlons pas encore l'épidémie», relève Van Phillip Baton, conseiller du Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) aux Philippines. Il avertit que le virus pourrait se propager au reste de la population faute d'action décisive. Les experts affirment que les réseaux sociaux et les sites de rencontre en ligne ont favorisé les infections ces dernières années en facilitant la recherche de partenaires sexuels.
Mais l'augmentation de l'activité sexuelle, en particulier depuis la levée des restrictions liées au Covid-19, n'est pas allée de pair avec une utilisation accrue de préservatifs ou de médicaments de prophylaxie pour prévenir l'infection, note Van Phillip Baton. Et l'ignorance apparaît comme un facteur majeur.
Un tiers ne croit pas à l'utilité du préservatif
Seuls 76% des Philippins âgés de 15 à 24 ans ont entendu parler du VIH et du sida, la proportion la plus basse depuis 1994, selon une étude réalisée en 2021 par l'Université des Philippines. Et parmi ceux qui connaissent le virus, plus d'un tiers ne croient pas que les préservatifs puissent réduire le risque d'infection au VIH.
Après des années d'opposition de l'Église catholique, une loi sur la planification familiale exige que les centres de santé distribuent des préservatifs gratuits et que l'éducation sexuelle soit enseignée dans les écoles. Toutefois, les moins de 18 ans ont besoin d'une autorisation parentale pour obtenir des préservatifs. Et une «éducation sexuelle complète» n'est enseignée que depuis 2018, avec l'accent sur la prévention des grossesses.
Discussions interdites
De nombreuses écoles n'autorisent toujours pas les discussions sur les préservatifs ou le sexe, souligne Desi Andrew Ching, cofondateur de l'ONG HIV & AIDS Support House. «Notre culture diabolise le sexe».
«La majorité des jeunes vivant avec le VIH sont victimes de discrimination de la part de leurs pairs s'ils le leur disent», déclare à l'AFP Krang, un jeune homme de 23 ans qui a voulu utiliser un surnom. De honte, certains sont poussés à la dépression, voire au suicide, note le bénévole dans un centre de dépistage et de traitement du VIH dans la ville d'Iloilo, au centre du pays.
L'ONUSIDA s'est fixé pour objectif de mettre fin à l'épidémie mondiale de sida d'ici 2030, avec une réduction des cas de VIH de 90% par rapport à 2010. Si le nombre de cas mondiaux a baissé de 38% entre 2010 et 2022, les Philippines ont, elles, vu les cas bondir de 418%. Il s'agit de la hausse la plus rapide dans la région Asie-Pacifique et la 4ème plus importante dans le monde, selon les données du programme.
Seulement 41% reçoivent un traitement
Seuls 63% des Philippins positifs au VIH sont conscients de leur statut et 41% reçoivent un traitement médical, faute de centres de tests et de soins. Le VIH peut déboucher sur le sida sans traitement. Le nombre de morts liés au sida a bondi de 538% aux Philippines entre 2010 et 2022, contre une baisse de 51% dans le monde dans le même temps.
«Les seules personnes qui meurent du sida de nos jours sont celles qui ont été diagnostiquées tardivement», souligne John Ruiz, directeur médical de la Klinika Bernardo, qui propose des services gratuits de lutte contre le VIH dans la capitale Manille.
(ATS)