Deux experts analysent le retrait de Kherson
Après Kherson, «les Ukrainiens ont stratégiquement gagné la guerre»

Le Kremlin a annoncé ce mercredi le retrait des troupes russes de Kherson par le biais d'une grande allocution télévisée. Qu'est-ce qui se cache derrière cette décision? Deux experts font le point.
Publié: 11.11.2022 à 17:31 heures
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Le retrait des troupes russes de Kherson pourrait être le début de la fin de la guerre, selon Marcus Keupp, enseignant en économie militaire à l'Académie militaire de l'EPF de Zurich.
Photo: Zvg
Sven Ziegler

Pendant des mois, la Russie et l'Ukraine se sont battues pour la ville de Kherson. Après l'occupation par la Russie depuis le mois de mars de cette localité stratégique, les troupes du président Vladimir Poutine se sont retrouvées sur la défensive au cours des dernières semaines. La contre-offensive ukrainienne augmentant la pression sur les troupes du Kremlin.

Mercredi, le Ministère de la défense a tiré sur la sonnette d'alarme et a annoncé le retrait de toutes les troupes russes de la ville.

«Pour la Russie, cette évolution est une catastrophe», déclare Marcus Keupp, enseignant en économie militaire à l'Académie militaire (ACAMIL) de l'École Polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), à Blick. «Ce retrait est le point final d'une évolution de la situation qui était déjà visible ponctuellement ces deux dernières semaines.»

En effet, la Russie avait commencé début novembre à faire évacuer des milliers de civils de la ville. Une évacuation qui aurait été suivi d'un véritable pillage de Kherson. «Tout cela était en préparation du retrait actuel.»

Un retrait mal pensé d'un point de vue stratégique

Selon les estimations, entre 18'000 et 30'000 soldats russes se trouvent au front. Ces derniers auraient probablement appris le retrait de la ville à la télévision, selon l'expert de l'EPFZ. «Je ne peux pas imaginer que les Russes aient réfléchi à ce retrait d'un point de vue stratégique» ajoute Marcus Keupp.

Les troupes sont encerclées par le nord et l'ouest et ne peuvent se retirer que par le fleuve Dniepr, explique-t-il. «Mais de nombreux ponts qui permettent de traverser le fleuve sont fortement endommagés par les tirs de missiles ukrainiens et ne peuvent être franchis que par des véhicules légers. Il est donc impossible d'évacuer d'un seul coup des dizaines de milliers de soldats en même temps.»

Une fuite par le fleuve est tout autant impensable, selon l'expert: «Le Dniepr est large d'environ deux kilomètres à Kherson et il est glacial en cette saison. Nager simplement de l'autre côté du fleuve est impossible.»

Un piège des Russes semble improbable

Les Ukrainiens ont donc désormais la possibilité de mettre à mal l'armée russe. «Des dizaines de milliers de soldats russes se pressent au bord du Dniepr. Les troupes sont de plus en plus encerclées par les forces ukrainiennes, il n'y a pas d'issue. Les troupes russes peuvent soit se rendre, soit s'attendre à de lourdes pertes. Il n'y a pas d'autre possibilité.» Cette situation serait également à l'origine d'une nouvelle baisse de moral au sein de l'armée russe.

Marcus Keupp ne croit pas que les Russes simulent leur retrait de Kherson pour piéger les Ukrainiens. «Cela n'aurait aucun sens d'un point de vue stratégique. Pour une telle embuscade, l'armée russe aurait besoin d'une zone, sans issue, dans laquelle elle pourrait attirer les Ukrainiens. Or, à Kherson, la Russie est totalement encerclée. Et les troupes russes ne devraient pas s'aventurer dans une bataille rangée.»

La Russie va-t-elle quand même faire sauter le barrage?

Dominik Knill, président de la Société suisse des officiers, pense aussi que la Russie va entièrement se retirer de Kherson. «Mais je ne crois pas que les Russes vont simplement laisser toute la région aux Ukrainiens sans riposter.» Ce qui lui met la puce à l'oreille, c'est surtout l'annonce offensive et très médiatisée faite par la télévision d'État russe. «En tant que stratège, je pense que c'est un signe qu'il faut tirer la sonnette d'alarme dans un tel cas.»

Selon le président, il serait envisageable que la Russie retire ses troupes, laisse les Ukrainiens envahir la zone pour ensuite procéder à une frappe tactique contre les troupes ennemies - par exemple en faisant sauter le barrage de Kakhovka, au nord de Kherson. Un tel dynamitage aurait pour conséquence l'inondation de toute la région, y compris de la ville.

«Je crois la Russie tout à fait capable de porter un tel coup», déclare Dominik Knill. «Au cours des deux dernières semaines, l'armée russe a évacué la majeure partie de la population civile. Une destruction du barrage toucherait donc probablement et presque exclusivement les forces militaires. La Russie a l'expérience de telles actions. Les Ukrainiens se retrouveraient alors dans une situation très inconfortable», explique le colonel suisse.

«La guerre serait alors terminée»

Cette annonce n'est, de ce fait, sûrement pas un tournant dans la guerre, selon le président de la Société suisse des officiers. «Je pense plutôt que cette annonce est une ruse. La Russie a l'expérience de ce genre de tactique.» Dominik Knill estime que les combats militaires devraient plutôt passer au second plan dans les mois à venir. «Les deux parties sont affaiblies, l'hiver se prête à une pause. Mais la Russie pourrait entre-temps tenter de briser davantage la volonté du peuple ukrainien en lançant de nouvelles attaques de missiles sur les infrastructures critiques.»

Markus Keupp, stratège de l'EPFZ, est plus optimiste. Il déclare: «Avec le retrait des troupes russes de Kherson, les Ukrainiens ont, à mon avis, gagné la guerre sur le plan stratégique. Si l'armée ukrainienne agit maintenant habilement, ce n'est plus qu'une question de temps avant que l'ensemble du front russe ne s'effondre. La guerre serait alors terminée.»

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