Des parcours de vie forts
Ces Éthiopiennes ont pris leur vie en main

Blick s'est rendu en Ethiopie cette semaine. Sur place, nous avons discuté avec de nombreuses femmes dont le parcours de vie est impressionnant. Aidées par l'association SOS Villages d’Enfants, elles ont su se développer et gagner en indépendance.
Publié: 12.10.2024 à 09:05 heures
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Dernière mise à jour: 12.10.2024 à 10:44 heures
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Matthias DavetJournaliste Blick

Il y a Likitu, Abebech, Meskele, Malawi et Birtukan. Leur âge? Approximatif, puisqu'elles ne possèdent pas de certificat de naissance. Elles ont plusieurs points communs: toutes sont éthiopiennes, toutes bénéficient de l'aide de l'association SOS Villages d'Enfants et surtout, toutes ont un parcours de vie fort.

Bien sûr, il ne faut pas se leurrer. En discutant avec quelques locaux, on se rend compte que la situation des femmes reste précaire en Éthiopie. Bien que les mariages forcés soient désormais rares, une grande majorité de ces femmes sont encore soumises à leur mari. D'ailleurs, seule une de celles à qui nous avons parlé était mariée. «La plupart des femmes qui profitent de nos programmes sont veuves ou célibataires, sinon elles auraient besoin de l'autorisation de leur mari», nous explique-t-on du côté de SOS Villages d'Enfants.

Le récit de vie des personnes qui suivent est donc d'autant plus impressionnant. Seules, elles ont réussi à se construire. Elles témoignent.

Likitu (46 ans)

Likitu est mère au village de Hawassa.
Photo: Zacharias Abubeker / SOS Childrens Village / Fairpicture

Likitu est une «mère». Les guillemets sont de mises car aucun de ses huit enfants n'est biologiquement le sien. Mais cela ne l'empêche pas de les aimer de tout son cœur. Cette femme de 46 ans a intégré le village de l'association à Hawassa il y a huit ans maintenant. Celle qui était enseignante a vu passer en 2016 une annonce: SOS Villages d'Enfants cherche des mères. Likitu décide de postuler et, après trois mois de formation, elle obtient le droit d'intégrer une maison dans la communauté. «Je l'ai fait car j'étais passionnée par l'éducation et le bien-être des enfants», explique-t-elle.

C'est dans cette maison que nous la retrouvons, là où ses huit enfants vivent toujours. Les deux plus grands vont bientôt partir pour l'université, si leurs notes le permettent. Forcément, c'est émouvant pour Likitu. L'émotion se fait sentir sur le visage de cette femme timide. «En tant que mère, ce n'est pas facile de laisser partir ses enfants, souffle-t-elle. Mais je sais que c'est pour leur bien et je leur organiserai une belle fête d'adieu.» Car à partir de ce moment, ceux-ci vivront loin d'elle.

Malgré les étapes de la vie, Likitu aime foncièrement ses enfants. En élever huit n'a toutefois pas été une sinécure. «Ils avaient tous un passé différent et venaient de famille vulnérable, se souvient-elle. C'était un challenge.» Un défi qui, pour le moment, est rempli de manière remarquable par Likitu. «Elle a été choisie cette année pour être la représentante de toutes les autres mères du village», nous explique-t-on. Un témoignage de son bon travail.

Cette tâche, Likitu se voit la faire le plus longtemps possible. Mais comme toutes les femmes de SOS Villages d'Enfants, elle devra prendre sa retraite: après 20 ans de service ou à 55 ans. «Mais tant que j'ai de l'énergie et que je suis en bonne santé, je vais continuer à aider les enfants dans le besoin», promet-elle.

Abebech (38 ans)

Abebech, au centre, est la mère de sept enfants. L'un est à l'école lors de notre visite.
Photo: Zacharias Abubeker / SOS Childrens Village / Fairpicture

Si Abebech nous accueille chez elle, c'est avant tout pour filmer son témoignage pour SOS Villages d'Enfants. La vie n'a pas été facile dans sa jeunesse. Elle n'a pas été à l'école et ses parents la faisait travailler tous les jours. Au début, ses sept enfants étaient prédestinés à vivre la même vie. Sauf qu'Abebech a été soutenue par l'association. «J'ai suivi plusieurs formations, sur la finance ou l'agriculture», détaille-t-elle.

Désormais, elle a plusieurs sources de revenues, comme la culture de patates douces. «Celle-ci m'a même permis de construire cette maison», explique Abebech en se retournant et montrant son foyer. Avec son mari, Andreas, ils ont pu à nouveau scolariser leurs enfants. Avec des ambitions pour eux: «Que les deux plus grands pourront rentrer à l'université, espère-t-elle. Et qu'après, ils aient un bon travail, avec la sécurité de l'emploi.»

Et pour elle? «Je veux ouvrir un marché le long de la route principale», répond-elle, sa maison se situant à plusieurs centaines de mètres du croisement. Abebech, modeste, dit quand même se sentir fière du travail qu'elle a accompli ces dernières années. Dans cette culture qu'elle qualifie «d'ignorante», elle sait également que la femme a encore une place à se faire. Mais cela risque de prendre du temps.

Meskele (25 ans), Malawi (22 ans) et Birtukan (25 ans)

Malawi, Birtukan et Meskele (de gauche à droite) nous ont accueilli sur leurs terres.

Notre dernière journée en Ethiopie marque la rencontre de ce trio: Meskele (25 ans), Malawi (22 ans) et Birtukan (25 ans). Ces jeunes femmes ont, en compagnie de deux hommes, créé leur propre business dans leur communauté. Au total, le quintette dispose de 80 poules, qui produisent entre 50 et 60 œufs par jour. Alors que notre conversation est interrompue par moment par le bêlement des chèvres, Meskele nous explique comment le groupe en est arrivé là: «C'était un vrai défi au début, même avec les formations. Mais avec le temps, nous avons acquis de l'expérience.»

Les cinq personnes vivent sur un pied d'égalité. Tout le monde participe aux mêmes tâches et un tournus est effectué. «On coopère et il n'y a aucune discrimination», précise l'Éthiopienne. Ce qui signifie que les tâches réservées aux femmes dans ce pays sont aussi remplies par les hommes du groupe.

Grâce à ce business, la vie de ces femmes a drastiquement changé – elles sont même devenues des modèles pour certaines personnes de leur village. Mieux, elles ont une indépendance nouvelle. «J'ai beaucoup d'hommes qui sont venus me demander ma main. Mais j'ai refusé, car je préfère encore attendre un an», nous explique Meskele, qui n'aurait pas eu ce choix auparavant. Par contre, il y a encore une marge pour leur progrès puisque la femme de 25 ans nous précise qu'il y a encore une majorité résistante au projet dans la communauté.

Si leur business continue de croître, les trois jeunes femmes espèrent pouvoir réaliser leurs rêves bientôt: pour Meskele et Malawi, ouvrir un magasin de matériaux de construction. Et pour Birtukan, produire des meubles.

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