Colère et accusations
Adama Traoré, cette mort qui hante les banlieues françaises

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, 24 ans, succombait à la gendarmerie de Persan, près de Paris, après une course poursuite avec la police. Depuis, la colère de sa famille et les accusations portées contre ceux qui défendent sa mémoire hantent les banlieues françaises.
Publié: 27.07.2022 à 18:05 heures
Assa Traoré, la soeur aînée d'Adama, mène depuis six ans le combat pour réhabiliter la mémoire de son frère et obtenir la condamnation des policiers qui l'avaient pourchassé. Elle se retrouve désormais accusée d'avoir couvert les violences sexistes d'un membre de son comité.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’était il y a six ans, presque jour pour jour. A l’issue d’une course-poursuite avec les policiers qui l’avaient interpellé pour trafic de stupéfiants, Adama Traoré, 24 ans, s’écroule, le 19 juillet 2016, dans les locaux de la gendarmerie de Persan, une commune du Val d'Oise, dans la grande banlieue de Paris. L’intéressé, né en France dans une famille malienne, était connu des services de police pour des faits de petite délinquance.

Son arrestation musclée est, dans ces quartiers où les forces de l’ordre luttent en vain contre les trafics et se retrouvent prises dans un engrenage de violence, terriblement ordinaire. Or ce jour-là, un symbole est né. Mort d’une asphyxie liée à une défaillance cardiaque après avoir couru, Adama Traoré devient l’emblème des victimes de violence policières en France. Sa sœur aînée, Assa Traoré, omniprésente dans les médias, fonde le «comité Adama» pour demander justice. Dans les quartiers, les fresques taguées à l’effigie du jeune homme décédé et les slogans en son hommage deviennent une habitude.

Une polémique qui ne s’est pas refermée

C’était il y a six ans et, depuis, rien n’a permis de refermer le couvercle de la polémique sur cette affaire. Les procédures lancées par la famille contre les gendarmes présents le jour du drame ont abouti à des non-lieux. Mieux: ceux-ci ont été félicités par leur hiérarchie et ont fait condamner Assa Traoré pour «dénonciation calomnieuse», puisqu’elles les considèrent comme les meurtriers de son jeune frère.

Et voilà que ces jours-ci, une autre affaire dans l’affaire sème le trouble. Selon le site d’information Médiapart, le comité Adama aurait couvert les violences sexistes d’un de ses membres. Le journal de gauche, habitué à s’en prendre au système, met cette fois à mal la réputation de ceux qui dénoncent depuis 2016 les forces de l’ordre. La machine médiatique française se remet aussitôt en marche. Assa Traoré, après avoir été propulsée sur le devant de la scène, est aujourd’hui soupçonnée d’agir une cheffe de bande, utilisant les événements de 2016 pour sa promotion personnelle. D’accusatrice, l’ex ex-éducatrice de 36 ans se retrouve accusée.

Fractures instrumentalisées

La réalité de cette terrible affaire est qu’elle démontre l’incapacité, en France, à surmonter certaines fractures instrumentalisées de fait par les politiques et par les journalistes. Sur l’itinéraire personnel d’Adama Traoré, les faits sont là, accablants: le jeune homme était un délinquant habitué aux confrontations avec les forces de l’ordre. Sur le déroulement de son interpellation, malgré plusieurs expertises, le flou demeure en revanche encore, même s’il semble qu’Adama souffrait bien d’une insuffisance cardiaque susceptible de lui coûter la vie en cas de poursuite.

La suite? Le récit d’un face-à-face intraitable entre avocats du Comité Adama et défenseurs des forces de l’ordre. Pas de commission d’enquête digne de ce nom. Un combat peu à peu transformé par Assa Traoré en dénonciation des violences policières en général, dans un pays où celles-ci sont malheureusement légion. Preuve de ce malaise: les déclarations très controversées du leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon début juin, juste avant le premier tour des législatives. «La police tue et le groupe factieux Alliance (l’un des syndicats de police, ) justifie les tirs et la mort pour «refus d’obtempérer». La honte c’est quand?» avait-il accusé après le décès d’une jeune femme mortellement blessée par les tirs des forces de l’ordre en plein cœur de Paris.

«L’ensauvagement de la société»

C’était il y six ans et la mort d’Adama Traoré continue, pour ces raisons, de hanter les banlieues françaises. D’un côté, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, possible candidat à la présidence de la République à l’avenir, dénonce sans cesse «l’ensauvagement de la société». De l’autre, toutes les victimes de ces violences policières se sentent représentées par un comité au sein duquel le fonctionnement est particulièrement opaque, dans les mains d’une poignée de proches d’Assa Traoré, devenue l’égérie de la lutte. «La question de la restauration d’un lien de confiance entre les citoyens, la police et l’Etat, indissociable de celles des violences policières illégitimes, devrait être centrale en France assènent en introduction de leur livre «Violences policières, le devoir de réagir» (Ed. Gallimard) les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth. En ajoutant, inquiets: «Chacun voir malheureusement que ces questions sont éclipsées par les discours démagogiques».

Le sentiment d’impunité favorisé

C’était il y a six ans et le constat dressé par ces deux juristes très engagés dans la défense des libertés individuelles dresse à sa manière le bilan des enquêtes toujours contestées sur la mort d’Adama Traoré, le 19 juillet 2016. «Nier les violences policières est d’autant plus nuisible que cela favorise le sentiment d’impunité […] Notre responsabilité collective est de faire en sorte que ces violences ne restent pas impunies et qu’elles ne deviennent jamais une normalité, au prétexte qu’elles concerneraient des zones de non droit ou des «jeunes de cité». Comment les convaincre de croire en un idéal républicain si ses principes fondateurs, Liberté, égalité et fraternité, ne représentent rien de tangible pour eux?»

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