J’ai vu comment fonctionne Viktor Orbán. Nous l’avons tous vu, ce 15 et 16 décembre, calibrer son blocage du sommet européen à Bruxelles, pour obtenir un gain politique maximal.
Bravo Viktor! Cynisme sans limite, mais décision en accord avec ses promesses d’avant sommet. L’ultra nationaliste Premier ministre hongrois n’a pris personne en traître. Il avait prévenu, avant leur réunion dans la capitale belge, les 26 autres chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne. Pas question de donner un feu vert complet à l’Ukraine tant que ce pays n’aura pas rempli les sept conditions posées par la Commission européenne, dans son rapport du 8 novembre.
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Sur trois des sept «chapitres» (respect des droits des minorités, corruption et encadrement du lobbying), l’Ukraine n’avait pas, alors, déposé les projets de loi requis. C’est désormais fait pour deux d’entre eux. Il n’en reste qu’un, celui sur le lobbying. Mais qu’importe: Orbán reste en embuscade.
Cette embuscade, l’homme fort de Budapest - au pouvoir depuis 2010 et réélu largement à l’issue des législatives de 2022 – l’a soigneusement chorégraphié lors du sommet de Bruxelles.
Premier acte à Bruxelles
Premier acte jeudi soir: Orbán sort de la salle du Conseil européen, l’instance des dirigeants européens, lors de la décision d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie. Officiellement, il n’a pas mis son veto. Il demande en revanche qu’une note indique, dans les conclusions du sommet, qu’il n’a pas pris part au vote.
Le Chancelier allemand Olaf Scholz aurait eu l’idée de son absence temporaire, une première dans les annales de l’Union européenne. Volodymyr Zelensky a obtenu le symbole politique qu’il voulait. C’est là que les complications commencent.
Non au déblocage
Deuxième acte dans la nuit de jeudi à vendredi: Viktor Orbán dit non au déblocage des 50 milliards d’euros d’aide européenne à l’Ukraine, dont 17 milliards sous forme de dons. Un non, qui n’en est pas complètement un. Orbán n’a, encore une fois, pas opposé de veto. Il demande que le dossier de l’Ukraine soit de nouveau débattu à 27, lors d’un sommet européen en janvier. Tout le monde autour de la table a compris: le premier ministre hongrois veut obtenir de nouvelles contreparties.
Le déblocage de dix milliards d’euros, sur les trente-deux milliards bloqués par la Commission européenne en raison des atteintes à l’État de droit dans son pays, ne le satisfait pas. Il fait monter les enchères.
Cheval de Troie de Poutine?
Troisième acte en sortie de sommet: Viktor Orbán plastronne. Il commente sa vidéo sur Facebook, diffusée durant la nuit. Il affirme avoir défendu les intérêts de la Hongrie. Il moque ceux qui le qualifient de «cheval de Troie de Vladimir Poutine», après sa poignée de main avec le président russe à Pékin, en octobre 2023.
Son raisonnement est limpide: 1. L’Ukraine doit justifier chacun des déboursements européens en sa faveur. 2. La Hongrie doit récupérer cet argent communautaire qui lui revient de droit. 3. L’Ukraine ne pourra jamais gagner la guerre contre la Russie et il faut commencer à en tirer les conséquences.
Dans l’attente des élections
Viktor Orbán se sent d’autant plus fort que les élections européennes du 6 au 9 juin 2024 approchent à grand pas. Il rêve aussi de voir son candidat américain favori, Donald Trump, revenir à la Maison-Blanche en novembre.
Tous les outils institutionnels communautaires sont bons pour lui permettre de bloquer sans paralyser, et de surenchérir sans provoquer une levée de boucliers. «Sur l’adhésion de l’Ukraine, Orbán conserve deux possibilités de veto, lors de l’adoption du cadre de négociations, puis pour la convocation de la Conférence intergouvernementale qui sera nécessaire» juge la nouvelle lettre d’information «Matinale européenne».
Orbán est un légaliste qui retourne les arguments de Bruxelles… contre Bruxelles. «Il nous a fallu dix ans pour satisfaire aux conditions pour notre adhésion aime redire le premier ministre hongrois. L’Allemagne s’est opposée à l’ouverture des négociations avec la Bosnie-Herzégovine, car Sarajevo n’a rempli que 2 des 14 conditions imposées.
Alors? Imparable. Orbán exige que les mêmes règles s’appliquent pour tous les candidats.
Il règle ses comptes
La réalité? Viktor Orbán tisse sa toile et règle ses comptes. Il attend son heure. «Le non-respect de l’Etat de droit lui a coûté le gel de 21,7 milliards de fonds européens. Il vient d’en récupérer 10 après avoir fait adopter une réforme judiciaire réclamée par la Commission européenne, gardienne des traités. Les financements pour son plan de relance – dix milliards de plus - sont bloqués pour le même motif (..)
Il est dur et retors dans les négociations, mais lorsqu’il tope, il respecte sa parole, contrairement à d’autres dirigeants européens» peut-on lire dans la Matinale européenne. Et les comptes à régler ne manquent pas. Orbán écoute de moins en moins. Il veut détricoter l’Union européenne qu’il compare à l’ex Union soviétique. Il met ses partenaires de l’Union le dos au mur: sont-ils capables d’activer contre la Hongrie l’article 7 du traité européen, qui met en place des sanctions en cas de violations graves des valeurs de l’UE?
Dérive wokiste de l’Europe occidentale
La croissance économique de son pays doit tout à son intégration dans l’Union européenne lors de l’élargissement de 2004. Sa protection militaire est garantie par l’Otan, dominée par les États-Unis. Tout cela, Viktor Orbán le sait. Mais ce n’est pas pour lui le sujet.
Le Premier ministre hongrois mène un combat contre la souveraineté partagée qu’implique la communauté. Il ne supporte pas d’être traité de dirigeant «illibéral». Il estime que le destin de la Hongrie est de ne pas rompre avec la Russie, même son pays a jusque-là approuvé toutes les sanctions contre Moscou.
En bon réactionnaire, il est en guerre contre la dérive wokiste de l’Europe occidentale. Orbán veut faire payer le prix le plus cher à tous ceux qui l’ont diabolisé, et mis de côté. Son Europe n’est pas un idéal. C’est d’abord une revanche personnelle et nationale.