Aleksandar Vucic est assis dans la bibliothèque de son palais présidentiel, l'air grave. De l'extérieur, des centaines de sifflets résonnent. Des manifestants sont en train de bloquer l'un des axes routiers de Belgrade. Les habitants des blocs voisins ouvrent leurs fenêtres et leur font signe. Une scène comme il s'en produit actuellement tous les jours.
Le président ne se soucie guère de leur bruit. Il parle lentement, réfléchit, regarde souvent par terre. Il dit de lui-même: «Je ne suis pas facile à aimer.» Lorsqu'il a pris la présidence en 2017, Blick l'avait déjà rencontré pour une interview. Il avait alors promis une solution pacifique au conflit du Kosovo. «Même si les Serbes n'y sont pas encore prêts: Je ne céderai pas.» Le temps est venu de (re)poser les questions. Interview.
Monsieur Aleksandar Vucic, en 2017, vous vous êtes présenté dans une interview avec Blick comme un artisan de la paix. Qu'en est-il resté?
Nous avons la paix, contrairement aux accusations de l'Occident après le début de la guerre en Ukraine. Les médias suisses ont également affirmé que nous étions les marionnettes de Poutine et que nous allions déclencher de nouvelles guerres dans les Balkans. Bien sûr, cela ne s'est pas produit.
Vous avez envoyé des troupes à la frontière du Kosovo, et les gens ici ou dans les Balkans ont peur d'une nouvelle guerre. N'avez-vous pas jeté de l'huile sur le feu?
Il n'y a pas de frontière entre la Serbie et le Kosovo, conformément à notre Constitution et à la Charte de l'ONU. Aujourd'hui, les Etats européens parlent de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Lorsqu'il s'agissait de la Serbie, ils ont violé ce principe. Par conséquent, notre peuple a été persécuté et expulsé au Kosovo. Et pourtant, nous ne sommes pas en guerre.
En Suisse, des personnes originaires du Kosovo et de Serbie vivent ensemble en paix. Pourquoi cela n'est-il pas possible ici, dans les Balkans?
Nous vivons en paix. Mais s'aimer les uns les autres, c'est une autre affaire. Nous avons des intérêts politiques différents, c'est comme ça.
La Suisse est engagée depuis très longtemps au Kosovo. Comment voyez-vous notre rôle?
Malheureusement, la Suisse a été l'un des premiers pays à reconnaître l'indépendance du Kosovo, en violation du droit international! (ndlr: Selon la Cour internationale de Justice, cette reconnaissance était légale). Malgré cela, nous avons une bonne coopération et espérons attirer davantage d'entreprises, d'hommes d'affaires et de touristes suisses.
En venant ici, j'ai croisé des manifestants. Qu'en pensez-vous?
650 manifestants, si je ne me trompe pas. Qu'est-ce que je peux dire? Depuis que j'ai commencé, j'ai toujours vécu des manifestations. En Serbie, c'est tout à fait normal. Et nous gérons cela de manière pacifique, sans police ni violence. Contrairement à de nombreux autres pays européens.
Mais ces manifestations sont plus importantes que d'habitude.
Non, il y en a déjà eu de plus importantes.
Comprenez-vous pourquoi les manifestants sont frustrés?
Oui. Je peux comprendre les émotions, les intérêts politiques, les intérêts étrangers.
Même Djokovic prend ses distances. Cela vous fait-il mal?
Il ne s'est pas distancié de moi. Il a soutenu les étudiants. Je respecte sa décision.
De votre point de vue, quelle est la raison de sa frustration?
L'accident de Novi Sad en novembre dernier. (ndlr: L'avant-toit de la gare centrale s'est effondré, 15 personnes sont mortes). Après un tel événement, la frustration surgit naturellement. Mais j'ai réagi! Un ministre a été arrêté, deux autres ont démissionné. Plusieurs présidents de conseil d'administration d'entreprises publiques sont derrière les barreaux. J'ai rendu personnellement visite à de nombreux proches des victimes et leur ai présenté mes condoléances.
Les manifestants critiquent avant tout la corruption.
Ils ne peuvent pas donner d'autre raison, car la situation économique actuelle est la meilleure de l'histoire de la Serbie. Malgré cela, je vais lancer dans les prochains jours une énorme campagne anti-corruption.
C'est-à-dire?
Nous allons lancer des enquêtes, par exemple sur les maires, les ministres anciens et actuels.
Avez-vous peur d'être chassé de votre poste?
Je n'ai peur que de Dieu. Mais quand on fait de la politique, on doit pouvoir abandonner sa fonction. Car ce qui compte, c'est ce que l'on laisse derrière soi. Le front de mer de Belgrade est la plus belle promenade de toute l'Europe. C'est moi qui l'ai créée. Tous les gens qui protestent aujourd'hui protestent aussi contre cela. Et d'ailleurs, j'ai proposé aux manifestants un référendum contre moi. Ils le refusent. Parce qu'ils savent très bien qu'ils perdraient.
Dans les médias d'Europe occidentale, vous êtes décrit comme un autocrate. Est-ce exact?
Vous voulez que je confirme ce que certains médias occidentaux disent? Est-ce qu'ils disent cela de toute personne qui n'est pas une marionnette d'un gouvernement quelconque? Parce que je ne le suis pas, et je me moque de ce qu'ils pensent. Je suis ici parce que j'ai été élu deux fois avec une majorité écrasante.
Il s'agit toutefois de fraude électorale, de pression sur les opposants et de restriction de la liberté de la presse.
Chaque jour, je suis présenté dans les médias comme Hitler, Mussolini ou autre. En Serbie, tout le monde sait que c'est une absurdité.
Peu de chefs d'Etat et de gouvernement européens entretiennent des relations aussi amicales que les vôtres avec Vladimir Poutine. Quand lui avez-vous parlé pour la dernière fois?
Je ne l'ai pas vu depuis le 25 novembre 2021. Et au cours des trois dernières années, je ne lui ai parlé qu'une seule fois. Il s'agissait alors d'un éventuel accord sur le gaz.
Comment se fait-il que vous n'ayez pas vraiment eu de contact avec lui ces derniers temps?
Nous avons traditionnellement de bonnes relations avec la Russie, et nous n'avons pas honte de le dire. Mais nous subissons des pressions de toutes parts. Même si de nombreux autres chefs d'État européens se sont rendus à Moscou depuis le début de l'offensive en Ukraine et ont parlé à Poutine. Je ne l'ai pas fait. Qu'est-ce que cela m'a apporté ? Rien du tout.
Donald Trump a pris ses fonctions début janvier. Comment sont vos relations?
Très bonnes. Lui et son équipe sont engagés, et je crois aux changements pour lesquels il se bat.
Que signifie sa présidence pour la Serbie?
Un vrai changement: quelqu'un nous écoute. Sans le poids politique des années 1990.
Si nous faisons une nouvelle interview dans huit ans, qu'est-ce qui aura changé en Serbie?
Notre économie aura encore progressé. Et la Serbie sera membre de l'Union européenne.