Bart Staszewski, militant LGBTQIA+
«En tant qu'homme gay en Pologne, je ne me sens en sécurité que chez moi»

Nulle part en Europe la communauté LGBTQIA+ n'a la vie aussi dure qu'en Pologne. L'Eglise, la politique et les médias se déchaînent, depuis des années, contre ce groupe de la population. La résistance s'organise.
Publié: 06.07.2022 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 06.07.2022 à 16:41 heures
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La situation des personnes LGBTQIA+ en Pologne est la pire d'Europe. Des activistes comme Bartosz Staszewski (au centre, en chemise blanche) se battent depuis des années pour plus de droits, et contre la discrimination.
Photo: STEFANIAK
Valentin Rubin

La Suisse, avec pas mal de retard certes, a récemment franchi une étape clé dans l’égalité des droits: l’automne passé, le Mariage pour toutes et tous a récolté un «oui» dans les urnes. Le vendredi 1er juillet 2022, les premiers mariages entre personnes du même genre ont eu lieu dans tout le pays.

Ailleurs en Europe, en revanche, le tableau reste assez sombre. En Pologne, par exemple, la communauté LGBTQIA+ a connu des années difficiles. L’Eglise catholique du pays la qualifie explicitement de fléau, même de peste. Le parti populiste de droite au pouvoir, le PiS, traite les personnes homosexuelles et transgenres comme des boucs émissaires pour presque tous les problèmes de la société, les qualifiant par exemple d’idéologues anti-polonais, ou même de pédophiles…

Création de «zones sans LGBT»

La Pologne est un Etat membre de l’UE depuis 2004. Pourtant, lorsque ce pays de l’est a carrément érigé des «zones sans LGBT» en 2019, et ce dans des régions entières, l’Union n’a pas (ou peu) réagi. Ces zones ne sont, certes, pas juridiquement applicables, mais le message est clair: pour le gouvernement polonais, la communauté LGBTQIA+ devrait disparaître complètement de la sphère publique.

Bartosz Staszewski, dit Bart, qualifie cela d'«épouvantable». Lorsque le SonntagsBlick rencontre l’activiste LGBTQIA+ en chef de Pologne, à Varsovie, ce trentenaire accepte de partager son angoissant quotidien: «Lorsque je me promène dans la ville avec mon partenaire, nous renonçons à tout acte tactile.» C’est assez simple, puisqu’ils n’en ont en fait jamais pris l’habitude. Et pour cause: «Je ne suis pas très enclin à prendre des risques. Si nous nous promenons en ville main dans la main, je sais que je vais tout le temps regarder nerveusement par-dessus mon épaule.»

Si, en Pologne, vous accrochez un drapeau arc-en-ciel à votre fenêtre, vous pouvez d’ores et déjà appeler le vitrier: cette dernière sera brisée. Pour les couples LGBTQIA+ qui veulent vivre leur relation ouvertement, il ne reste souvent que la voie de l’exil. En Pologne, ils doivent à chaque fois réfléchir à la manière dont ils se montrent en public, confie Bart Staszewski. Et d’ajouter: «Je ne me sens vraiment en sécurité que chez moi.» D’autant plus qu’il est de fait connu pour être la figure de proue du mouvement LGBTQIA+ polonais.

Répression et manque de protection

Ce que vit Bart Staszewski est le quotidien d’innombrables Polonais et Polonaises. La Fédération mondiale des organisations lesbiennes, gays, bi et transgenre (ILGA) a publié en mai son classement annuel sur les libertés. Pour la troisième fois consécutive, la Pologne est tout en bas du classement de l’UE. Il n’y existe aucune loi protégeant contre les discours de haine, aucune possibilité de partenariat enregistré, et encore moins la possibilité de se marier ou de fonder une famille pour les personnes issues de ces communautés.

«L’éducation sexuelle est en outre lacunaire dans les écoles», explique Bart Staszewski. Cela entraîne des conséquences: «Les statistiques le montrent: la moitié des adolescents, adolescentes et jeunes personnes LGBTQIA+ souffre de dépression. Près d’un tiers a déjà pensé au suicide.»

Bart faisait lui aussi partie de ce groupe. À 17 ans, il n’avait personne vers qui se tourner, dans son environnement scolaire: «Quand tu remarques que de nombreux fonctionnaires, politiciens et une partie des enseignants n’ont que du mépris pour les gens comme toi, la vie perd vite son sens.»

Protester contre l’absurdité

Bartosz Staszewski s’est lancé dans l’activisme il y a dix ans: «Je ne voulais plus être spectateur.» Son documentaire sur les droits des personnes LGBTQIA+ en Pologne a fait parler de lui au niveau national en 2017, et sa protestation contre les «zones sans LGBT», entamée en 2020, l’a placé dans le collimateur des politiques et des médias.

«Pour moi, c’était grave qu’une politique aussi homophobe puisse passer dans l’Europe du XXIe siècle», soupire-t-il. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était d’en parler, et de souligner l’absurdité des décisions prises: «Au fond, il s’agit de choses très simples: nous voulons vivre dans une Pologne qui accepte et protège toutes les personnes, toutes les minorités.»

L’activiste a conçu, pour protester, une pancarte multilingue avec le texte «Zone sans LGBT». Il a parcouru la Pologne, et posé avec partout où la déclaration avait été signée. Ses publications sur les médias sociaux sont vite devenus virales. Les communautés en question se sont senties attaquées (!), des plaintes et des actions en justice pour diffamation ont été lancées contre Bart.

«Ce n’est que grâce à cette action que le sujet a été largement repris dans les médias internationaux», estime-t-il. En Pologne, il a parfois été évoqué plusieurs fois par jour, le plus souvent par des médias proches du gouvernement, et le plus souvent de manière négative. Le président, Andrzej Duda, a déclaré publiquement lors de la campagne électorale de 2020: «On essaie de nous faire croire que ce sont des êtres humains. Mais c’est tout simplement une idéologie.» Une idéologie, poursuit Duda, qui serait pire que le communisme.

La capitale européenne de l’homophobie

L’homophobie est depuis longtemps en vogue dans les cercles gouvernementaux polonais, le rapport de l’ILGA le souligne clairement. Bart envisage néanmoins l’avenir avec optimisme: «La politique ne reflète que partiellement ce qui se passe dans la population.» Le progressisme croissant de la population civile se manifeste depuis longtemps, lui aussi: «La communauté LGBTQIA+ en Pologne devient plus visible et plus forte ces dernières années.» De plus en plus de personnes osent afficher leur homosexualité, leur bisexualité ou leur transidentité en public. La Pride Parade de Varsovie, qui s’est déroulée fin juin, en atteste: des dizaines de milliers de participants, et pas d’incidents graves à déplorer.

Les tribunaux risquent eux aussi de donner raison à l’activiste: les plaignants contre Bartosz Staszewski n’ont jusqu’à présent rien gagné. Alors que les «zones sans LGBT» ont presque toutes été retirées, grâce à des protestations de l’Union européenne, mais aussi grâce à l’action de Bart.

L’organisation dans laquelle il est actif, Miłość Nie Wyklucza («L’amour n’exclut rien»), s’est fixé comme objectif d’atteindre l’égalité totale des droits en Pologne d’ici 2025. Les élections législatives de l’automne 2023 montreront si cet objectif est réaliste.

(Adaptation par Daniella Gorbunova)

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