Est-ce un lapsus inattendu ou des propos volontaires? Avant même le début de l'invasion de l'Ukraine, le président russe, Vladimir Poutine, évitait à tout prix de parler de guerre imminente. Depuis le début du conflit qui ravage l'ancien territoire soviétique, le chef du Kremlin utilise l'euphémisme «opération militaire spéciale» pour qualifier la guerre.
Celle-ci dure depuis presque dix mois, au cours desquels toute la Russie doit systématiquement utiliser les mêmes termes que Poutine pour décrire ce qui se passe en Ukraine.
Mais pour la première fois pourtant, le président russe a utilisé le mot «guerre». Et ce, alors que ses opposants sont poursuivis en Russie pour avoir prononcé ce même terme.
«Mettre fin à cette guerre»
«Notre objectif n'est pas de continuer ce conflit militaire, mais au contraire de mettre fin à cette guerre», a répondu Poutine à la question d'un journaliste ce jeudi, lors d'une conférence de presse télévisée à l'issue d'une réunion gouvernementale.
On y entend clairement le chef du Kremlin dire «cette guerre», «эту войну» en russe (phonétiquement: etu vajnu). Le journal russe «Izvestia» le cite même sans le censurer. La plupart des médias russes, en revanche, modifient l'expression en «ce conflit».
Un mot punissable par la loi russe
Poutine a déjà utilisé de nombreuses périphrases pour justifier la mort de dizaines de milliers de personnes et les destructions qui ont cours en Ukraine. Il a notamment parlé de «dénazification» et de «libération».
Après l'invasion de l'Ukraine et l'éclatement de protestations anti-guerre en Russie, les autorités avaient imposé la dénomination «opération militaire spéciale» comme obligatoire pour parler des événements.
Des sanctions draconiennes interdisent aussi la diffusion de ce qui est considéré comme des «fake news». Car celles-ci discréditeraient les forces armées. Parler de la guerre en tant que telle est donc puni.
Plainte contre Poutine
En raison de ce durcissement de la loi, près de 5000 personnes auraient été inculpées en Russie jusqu'en octobre. Nombre d'entre elles ont reçu de lourdes amendes. Dans une centaine de cas, elles risquent même jusqu'à 15 ans de prison, pour l'emploi d'un terme qui est désormais également sorti de la bouche même du chef de l'État russe.
Le député du district de Saint-Pétersbourg et critique de Poutine Nikita Yuferev a déjà réagi. Il a déposé une plainte contre le président russe pour l'utilisation de ce mot. «Poutine a appelé cette guerre une guerre», a-t-il déclaré sur Twitter, avec une image où il poste les documents du tribunal.
«J'ai demandé aux autorités d'enquêter sur Poutine pour la diffusion de fake news sur l'armée», poursuit-il. L'homme politique demande au Parquet général russe et au Ministère de l'intérieur d'ouvrir une procédure pénale contre le chef du Kremlin. Une manière de prendre ce dernier à son propre jeu.
L'accusation est symbolique
La plainte n'a aucune chance d'aboutir sur le plan juridique. Dernièrement, plusieurs propagandistes proches du Kremlin avaient déjà parlé de guerre sans être pour autant poursuivis.
Nikita Yuferev a lui bel et bien dû payer en septembre une amende administrative pour avoir discrédité l'armée. Auparavant, il avait demandé, avec d'autres députés au parlement russe, d'inculper Poutine de haute trahison en raison de la guerre en Ukraine.