Dans l'ombre de la visite d'État de Xi Jinping à Vladimir Poutine en début de semaine, le Premier ministre japonais Fumio Kishida a rendu visite au président ukrainien Volodymyr Zelensky. Ce n'était pas une manœuvre sans dessein: le Japon envoie ainsi un message clair à la Chine et à la Russie.
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La réaction du Kremlin ne s'est pas fait attendre. Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a mis en garde le Japon contre toute ingérence dans le conflit. Il a également mis en garde contre l'exploitation de la vulnérabilité actuelle de la Russie dans les îles Kouriles. Par la même occasion, Sergueï Choïgou a annoncé que la Russie avait installé une nouvelle batterie de missiles de défense sur l'île de Paramouchir, située au nord des Kouriles.
Le contexte: la Russie et le Japon sont en conflit au sujet des quatre îles les plus au sud des Kouriles. Ces îles sont administrées par la Russie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais sont revendiquées par le Japon. En raison de ce différend, les deux pays sont toujours officiellement en guerre, 79 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale!
Une aide de plusieurs milliards de dollars
Mais que craint concrètement la Russie? Le Japon irait-il jusqu'à s'immiscer dans la guerre en Ukraine? Le japonologue Raji C. Steineck de l'Université de Zurich explique: «Dans cette guerre, le Japon se considère comme un partenaire de l'Occident et est lui-même intéressé à mettre un terme aux ambitions expansionnistes de la Russie.» Or, si le Japon soutient massivement l'Ukraine financièrement, avec environ sept milliards de dollars jusqu'à présent, il ne fournit que des équipements défensifs comme des combinaisons de protection. En effet, la constitution japonaise autorise seulement les entreprises dont la production sert à l'autodéfense.
La problématique se situe plutôt du côté des îles Kouriles du sud, convoitées par les deux pays. Le conflit pourrait effectivement être ravivé par les récents évènements. «En 2021, les rapports d'un lanceur d'alerte russe indiquaient que la Russie préparait une guerre avec le Japon pour les îles Kouriles», relate le spécialiste. Mais les Russes sont sous pression en Ukraine. Ils ne sont actuellement guère en mesure d'ouvrir un deuxième front. «Il est donc probable que de telles déclarations soient des gestes de menace visant à réduire au maximum le soutien du Japon à l'Ukraine», estime Raji C. Steineck.
Les États-Unis, «contractuellement tenus d'aider le Japon»
Si de telles déclarations devaient quand même devenir une réalité, le Japon pourrait, en cas d'urgence, compter sur l'aide de la deuxième plus grande puissance militaire mondiale. «Si la Russie attaquait le Japon, les États-Unis seraient contractuellement tenus d'aider le Japon», affirme le japanologue. La manière dont cela se passerait dépendrait toutefois fortement de l'ampleur de l'attaque et de la situation globale. «De manière générale, un succès de la Russie entraînerait de forts inconvénients pour les États-Unis, car cela pourrait par exemple encourager la Chine à adopter une approche agressive vis-à-vis de Taïwan et du Japon.»
Les dépenses militaires du Japon, avec 54 milliards de dollars, étaient ces dernières années les neuvièmes plus importantes au monde – mais représentaient seulement entre un sixième à un cinquième de celles de la Chine. Cet écart se matérialise dans l'achat d'avions de combat. Pour certains types de navires de guerre, la Chine est même jusqu'à dix fois supérieure au Japon...
Des investissements militaires massifs
Le Japon a donc des raisons de craindre la Chine. C'est peut-être pour cela qu'il prévoit d'augmenter ses dépenses militaires d'environ un quart cette année. Jusqu'à présent, l'accent a été mis sur les systèmes d'armes défensifs, mais à l'avenir, le Japon souhaite développer sa capacité à mener des attaques de représailles sur de longues distances. Le pays du soleil levant possède deux avantages non négligeables dans ce contexte: son aisance technologique très élevée et sa capacité d'action rapide.
En matière de communication, les Japonais, habituellement réservés, passent désormais à la vitesse supérieure. «Le discours du gouvernement japonais vis-à-vis de la Russie et de la Chine est devenu nettement plus sévère. Il part sans doute du principe que la retenue face aux provocations sera interprétée comme une faiblesse», conclut Raji C. Steineckteineck.