Mercredi matin, les passants se pressent dans les rues du petit village italien de Luino, à quelques kilomètres seulement de la frontière suisse. Depuis des décennies, le traditionnel marché compte parmi les attractions les plus célèbres du Lac Majeur. Mais les nombreux touristes ne connaissent pas la face sombre de cette bourgade: alors qu’ils se promènent dans les ruelles pittoresques, un commerce d’un tout autre genre fleurit à quelques pas de là. Dans les forêts de Valcuvia et Valganna, des trafiquants de drogue bivouaquent et vendent des kilos de cocaïne, d’héroïne et de haschisch, et ce, également à des consommateurs suisses.
«C’est d’ici que les dealers remontent vers leurs cachettes et apportent la drogue aux clients», explique Alessandro Volpini. Le chef des carabiniers de Luino montre du doigt un sentier escarpé qui part du virage en épingle et mène à la forêt. Ses hommes ont pris les devants. Ils cherchent dans le sous-bois des tentes, des feux, des provisions.
Blick accompagne les agents à travers les fourrés. Le sol feuillu est inspecté à l’aide d’un détecteur de métaux pour rechercher d'éventuelles armes. Des trous creusés servent de sièges et de couchettes. «Ils s’installent dans la forêt pour plusieurs jours», soupire le policier. Lorsque les agents ont débarqué, il n’y avait déjà plus personne. Les trafiquants ont toutefois laissé leurs vestes et d’autres affaires. Les carabiniers fouillent les sacs, espérant trouver un téléphone portable, de la drogue ou des photos personnelles. Mais ils ne trouveront que des sachets, un pot en fer-blanc, des allume-feu pour le feu de camp et du thé.
Torturés pendant plusieurs heures
C’est à cet emplacement qu’une scène cruelle s’est déroulée il y a quelques semaines, raconte Alessandro Volpini. Un Marocain de 25 ans a été attaché à un arbre et torturé pendant plus de sept heures. «Ils l’ont fouetté, lui ont cassé un bras et ont essayé de lui couper une oreille pour qu’il obéisse à ses patrons», poursuit le commandant. Les tortionnaires ont fini par abandonner la victime dans la forêt. Ils ont emporté tous ses effets personnels.
Peu de temps après, un Italien, couvert d’ecchymoses, a atterri lui aussi à l’hôpital de Luino. Le quarantenaire a subi la colère des trafiquants pendant trois heures, avant que la branche à laquelle il était attaché ne se brise. L’homme est parvenu à s’enfuir, et a pu recevoir de l’aide.
L’enquête lancée à la suite de ces épisodes violents a rapidement mené aux tortionnaires. Mi-juillet, trois individus ont été arrêtés à Pavie et inculpés de vol, ainsi que de coups et blessures graves.
L’escalade de la violence s’est poursuivie
Le commandant suit avec une grande inquiétude ce qui se passe dans les forêts de Luino. «Tout a commencé il y a près de cinq ans lors de la première opération Maghreb, rapporte Alessandro Volpini. Nous avons arrêté une vingtaine de personnes et saisi sept kilos de drogue. En 2019-2020, nous avons en outre trouvé des dizaines d’armes dans les forêts. Des fusils, des pistolets, des machettes. Les gangs ont commencé à défendre leur territoire.»
Pendant le confinement, la situation était plus calme. Mais en 2022, la violence explose à nouveau, et elle culmine en février lorsqu’une fusillade éclate. «Nous avons arrêté 24 criminels au cours des quatre derniers mois, 23 Marocains et un Italien», énumère le commandant adjoint Marco Cariola. Selon le carabinier, les forêts sont dominées par les Marocains, «qui viennent généralement de la région de Beni Mellal». En Italie, ceux-ci se réunissent dans l’arrière-pays milanais.
Les carabiniers patrouillent dans les forêts. L’objectif: empêcher les trafiquants de mener à bien leurs activités, et les faire fuir. Les touristes pourraient également aider, lance Alessandro Volpini. «Les forêts de Luino sont un lieu de randonnée très apprécié. Les autochtones, mais aussi les visiteurs étrangers, devraient garder les yeux ouverts et signaler les bivouacs, voire photographier les plaques d’immatriculation des véhicules suspects et les envoyer à la police.»