Yaëlle, 37 ans, raconte son calvaire dans un documentaire
«J'ai été abusée par le même homme pendant cinq ans»

Yaëlle, 37 ans, relate les abus sexuels qu’elle a subis dès l’âge de 9 ans et raconte comment elle s'est reconstruite après cette épreuve. Un message d’espoir pour toutes les personnes victimes d’abus, qu'elle partage dans un documentaire.
Publié: 06.06.2024 à 18:54 heures
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Dernière mise à jour: 07.06.2024 à 10:18 heures
Yaëlle témoigne, aux côtés d'autres victimes d'abus sexuels, dans le documentaire «Dignity», réalisé par Margarita Fugger-Heesen et Estelle Romano, dont l'avant-première aura lieu le 8 juin à Lausanne.
Photo: Shutterstock
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

«Quand j’avais 9 ans, je me suis rendue à l’anniversaire d’une amie avec mes parents», se souvient Yaëlle, une Romande de 37 ans. Au travers du téléphone, sa voix vacille, alors qu’elle remonte courageusement le temps jusqu’à cette époque sombre de sa vie: «Sur place, nous avons rencontré un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il paraissait très sympa, il jouait avec les enfants, proposait des parties de cache-cache. À un moment, j’ai eu froid et j’ai voulu rentrer, mais il m’a retenue.»

En un seul instant, l’enfant qu’était Yaëlle voit le monde qu’elle connaissait, qui lui semblait sûr et prévisible, s’écrouler brusquement: «Il a mis la main sous mon pull. J’ai senti que ce geste n’allait pas, mais je ne comprenais pas vraiment ce qu’il se passait. Le soir-même, il a fait la connaissance de mes parents et est devenu leur ami. Par la suite, il était souvent invité chez nous. Il apportait des cadeaux, laissait des objets de valeur à la maison.»

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«Quand on est dans ce type de situation, on est comme emprisonné, les mots ne sortent pas, et la honte est écrasante»
Yaëlle
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N’osant rien dire, par peur de briser cette amitié naissante ou de décevoir ses parents, la jeune Yaëlle se recroqueville sur son secret: «Il venait chez nous les mercredis après-midi et les weekends quand j’avais congé et se permettait de commettre des attouchements sur moi, à l’insu de ma famille. Il m’a alors ordonné de ne rien dire et a proféré des menaces. J’avais peur. Quand on est dans ce type de situation, on est comme emprisonné, les mots ne sortent pas, et la honte est écrasante. Cela a duré jusqu’à mes quatorze ans, quand mon corps a commencé à changer avec l’arrivée de la puberté.»

Un témoignage qui s’inscrit dans le cadre du film «Dignity»

Une femme sur trois dans le monde est victime de violences. C’est en découvrant cette statistique glaçante, diffusée en 2021 par l’OMS, que Margarita Fugger-Heesen, psychologue germano-équatorienne formée en danse-thérapie, a décidé de créer son documentaire «Dignity», dont l’avant-première aura lieu le 8 juin à Lausanne. On y découvre les témoignages de plusieurs victimes d’abus sexuels, ainsi que des séquences axées sur des mouvements de danse. À l’écran, le cheminement menant de la douleur à la libération s’exprime donc au travers de la parole comme du corps.

«Ce film est né du constat d’une grande souffrance, partage la réalisatrice. En accueillant les récits de vie de nombreuses femmes, autant dans mon cabinet que lors de mes cours de danse, j’ai observé à quel point les abus sexuels sont fréquents, à quel point les victimes sont isolées et se sentent coupables.»

Pour la psychologue, l’objectif premier du documentaire est d’offrir un message d’espoir, de montrer qu’il existe un chemin après la douleur et qu’on n’est jamais seul, même lors de nos moments les plus sombres: «Sans nier la souffrance, je voulais montrer qu’on peut s’en sortir, entamer un processus de guérison et se reconstruire, afin que les personnes ayant vécu la même chose se sentent poussées à demander de l’aide», poursuit Margarita. En tant que Chrétienne, elle souligne le thème de la foi, qui intervient dans les témoignages comme une valeur ayant apporté du soutien et du réconfort aux personnes qui s’expriment dans le film.

La réalisatrice rappelle également le rôle central et salvateur de la danse, qu’elle décrit comme une manière d’exprimer sans mots ses émotions les plus fortes et pesantes, afin de se restaurer par le mouvement. «Je veux libérer la voix par ce documentaire, encourager les victimes à parler de leur vécu et sensibiliser leur entourage, afin qu’on soit rendu plus attentif à ce phénomène. Les proches des personnes concernées doivent comprendre les mécanismes de défense et les signaux, pour mieux les soutenir.»

L’avant-première du film réalisé par Estelle Romano et Margarita Fugger-Heesen aura lieu le 8 juin, dès 18h15 au cinéma Pathé Flon de Lausanne, en présence de Paul Young, victime d’abus sexuels dans sa jeunesse et auteur du best-seller «La Cabane». Cet événement est complet, mais d'autres projections auront lieu le 20 septembre au Rex de Vevey, et le 4 octobre au Cosmopolis d'Aigle.

Une femme sur trois dans le monde est victime de violences. C’est en découvrant cette statistique glaçante, diffusée en 2021 par l’OMS, que Margarita Fugger-Heesen, psychologue germano-équatorienne formée en danse-thérapie, a décidé de créer son documentaire «Dignity», dont l’avant-première aura lieu le 8 juin à Lausanne. On y découvre les témoignages de plusieurs victimes d’abus sexuels, ainsi que des séquences axées sur des mouvements de danse. À l’écran, le cheminement menant de la douleur à la libération s’exprime donc au travers de la parole comme du corps.

«Ce film est né du constat d’une grande souffrance, partage la réalisatrice. En accueillant les récits de vie de nombreuses femmes, autant dans mon cabinet que lors de mes cours de danse, j’ai observé à quel point les abus sexuels sont fréquents, à quel point les victimes sont isolées et se sentent coupables.»

Pour la psychologue, l’objectif premier du documentaire est d’offrir un message d’espoir, de montrer qu’il existe un chemin après la douleur et qu’on n’est jamais seul, même lors de nos moments les plus sombres: «Sans nier la souffrance, je voulais montrer qu’on peut s’en sortir, entamer un processus de guérison et se reconstruire, afin que les personnes ayant vécu la même chose se sentent poussées à demander de l’aide», poursuit Margarita. En tant que Chrétienne, elle souligne le thème de la foi, qui intervient dans les témoignages comme une valeur ayant apporté du soutien et du réconfort aux personnes qui s’expriment dans le film.

La réalisatrice rappelle également le rôle central et salvateur de la danse, qu’elle décrit comme une manière d’exprimer sans mots ses émotions les plus fortes et pesantes, afin de se restaurer par le mouvement. «Je veux libérer la voix par ce documentaire, encourager les victimes à parler de leur vécu et sensibiliser leur entourage, afin qu’on soit rendu plus attentif à ce phénomène. Les proches des personnes concernées doivent comprendre les mécanismes de défense et les signaux, pour mieux les soutenir.»

L’avant-première du film réalisé par Estelle Romano et Margarita Fugger-Heesen aura lieu le 8 juin, dès 18h15 au cinéma Pathé Flon de Lausanne, en présence de Paul Young, victime d’abus sexuels dans sa jeunesse et auteur du best-seller «La Cabane». Cet événement est complet, mais d'autres projections auront lieu le 20 septembre au Rex de Vevey, et le 4 octobre au Cosmopolis d'Aigle.

«Je n’en pouvais plus, je leur ai tout dit»

À cet âge-là, incapable de supporter ce calvaire un jour de plus, Yaëlle comprend que le comportement de l’homme est extrêmement malsain et se débrouille pour fuir la maison aussi vite que possible dès qu’il débarque chez elle: «Mes parents ne comprenaient pas mon attitude, mais je n’osais pas leur dévoiler la raison de ma peur. C’est alors qu’est parue une édition d’un magazine dans lequel figurait un article dédié aux abus sexuels sur mineurs et au silence dans lequel se murent les victimes.»

Encouragée par ce texte, la jeune fille décide de laisser le magazine ouvert sur la table du salon, comme une bouteille à la mer, afin de pousser ses parents à deviner la situation. Elle ose enfin leur tendre une perche, mais, à sa grande déception, ils ne la saisissent pas. «Quelques jours plus tard, sentant que ça bouillonnait en moi, j’ai attrapé le magazine et je l’ai balancé au travers de la pièce. Comme j’étais une enfant très réservée, ma maman a compris qu’il y avait un problème. Elle a lu l’article et est venue me voir, me disant que nous devions parler. Puis, elle m’a demandé si j’avais lu cet article et si je me souvenais d’avoir vécu quelque chose de semblable entre mes deux et sept ans. Je n’ai pas compris sa question et j’ai répondu ‘Non, mais par contre, je le vis en ce moment’.»

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«Ma maman m’a demandé si j’avais lu cet article et si je me souvenais d’avoir vécu quelque chose de semblable entre mes deux et sept ans. Je n’ai pas compris sa question et j’ai répondu ‘Non, mais par contre, je le vis en ce moment»
Yaëlle
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Yaëlle se souvient de l’étonnement de sa mère, de la colère et de la tristesse de ne pas avoir pu protéger sa fille sous son propre toit: «Nous en avons beaucoup discuté, puis je lui ai demandé pourquoi sa question était aussi précise, pourquoi elle m’avait parlé de la période entre mes deux et sept ans.» Yaëlle découvre alors que plusieurs années plus tôt, une personne était venue demander pardon à ses parents, s’excusant d’avoir commis des attouchements sur leur fille: «Je ne me rappelais de rien, il me restait juste quelques bribes d’images que je ne comprenais pas. Cela a déclenché un sentiment terrible. Ce jour a été très sombre pour moi et ma famille.»

«Pour moi, le pardon est un déclencheur, explique Yaëlle. Cela implique que j’avance, que je ne laisserai pas cette personne impacter mon présent, ni mon avenir.»
Photo: Estelle Juvet

«Nous étions plusieurs à subir ses attouchements»

Suite à cette discussion, les parents de Yaëlle demandent à celui qu’ils prenaient pour un ami de venir chercher ses affaires et de ne plus jamais poser un seul pied chez eux. «Je connaissais plusieurs autres filles qui avaient subi ses attouchements et j’ai donné tous leurs prénoms à ma maman, ajoute-t-elle. Je pense que mon silence venait aussi d’une envie de protéger les autres. Comme aucune d’entre nous n’avait le courage d’en parler, on entretenait une fausse croyance selon laquelle on se protégeait les unes les autres en gardant le secret. On lui avait donné un surnom entre nous, mais on n’abordait jamais ses actions en détail. On savait juste que ça n’allait pas.»

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«Je pense que mon silence venait aussi d’une envie de protéger les autres»
Yaëlle
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Après les révélations de Yaëlle, l’individu reçoit une peine de prison de 5 ans: «Je pensais que je serais une adulte quand il sortirait, que tout irait bien. Mais il a été libéré au bout de trois ans pour bonne conduite. Je l’ai appris en le croisant par hasard en voiture, cela m’a beaucoup déstabilisée. Une autre fois, je l’ai vu au bord du lac pour un anniversaire. Je n’oublierai jamais son regard, qui m’a glacée.»

«Il y a de l’espoir, après les abus»

Le procès de son agresseur coïncide avec le début d'un grand combat pour la jeune femme: «J’ai développé une dépendance à la pornographie. Je m’en suis sortie, avec l’aide de mon compagnon, et nous avons fondé ensemble l’association Innocence, pour aider les personnes qui vivent la même chose.»

Parmi les marques de soutien qui lui ont permis de se reconstruire, Yaëlle souligne l’écoute de ses proches, la liberté d’en parler et le courage d'admettre qu’on vit des choses qui ne sont pas justes: «En plus de ma famille et de mes amis, mon mari a toujours été une oreille très attentive, il m’aide à avancer. Je pense qu’il est très important de ne pas rester enfermé dans le silence et de réaliser que les choses douloureuses qu’on a vécues ne nous définissent pas. Je suis croyante et il y a notamment un verset que j’ai accroché au-dessus de mon lit: ‘Car je connais les projets que j'ai formés sur vous, dit l'Éternel, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l'espérance.’ C’est cette pensée, celle d’un espoir après la douleur, qui m’a beaucoup portée.»

Aujourd’hui, Yaëlle est une femme épanouie, qui souhaite aider d’autres victimes à se sentir moins seules, à oser porter un regard d’espoir sur l’avenir. A-t-elle pardonné son agresseur? «On a l’impression que le pardon est une baguette magique grâce à laquelle tout ira bien, répond-elle. Mais pour moi, c’est plutôt un déclencheur. Cela implique que j’avance, que je ne laisserai pas cette personne impacter mon présent, ni mon avenir. Le pardon est une étape à vivre au quotidien, je passe encore par des situations désagréables, mon fonctionnement est encore influencé par les abus que j’ai vécus. Mais ils ne pourront plus déterminer mes perspectives d’avenir.»

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