La première question que je pose à Sophie est celle qui me vient en voiture alors que je roule jusqu’à son domicile: a-t-elle toujours eu l'impression d'avoir un don, même lorsqu'elle était enfant? Une tasse de thé fumante entre les mains, la Vaudoise de 40 ans réfléchit quelques instants avant de répondre: «Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un don, mais d’une faculté. On vient au monde avec ces capacités et je suis persuadée que beaucoup de personnes les possèdent aussi, mais ne les explorent pas. Après tout, nous avons tous une intuition! Encore faut-il oser l’écouter.»
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Mais il ne s’agit pas uniquement d’intuition, puisque Sophie parle de médiumnité, définie comme la faculté d'entrer en communication et de servir d'interprète aux esprits. Souvent effleurée et décortiquée par la science (Julie Beischel et le Windbridge Research Institute ont notamment tenté d'exclure la fraude grâce à un protocole strict, élaboré en 2015), elle n'a pas encore été clairement prouvée et continue donc de susciter le débat. Une large méta-analyse publiée en 2020 est allée jusqu'à «soutenir l'hypothèse selon laquelle certains médiums peuvent récupérer des informations sur des personnes décédées par des moyens inconnus», sans apporter davantage de précisions.
Sophie m'explique d'ailleurs qu'elle était à des années-lumière d'imaginer qu'elle possédait des facultés particulières. Habituée à ressentir les choses très intensément depuis son plus jeune âge, sa grande sensibilité s'était toutefois exacerbée à la naissance de son premier enfant: «Je ressentais quand mon fils n’allait pas bien, même à distance. Il m’arrivait aussi d’entrer dans certains lieux et de ressentir un mal-être profond, une impression d’étouffer.»
«Je t'annonce que tu es médium»
De nature rationnelle et issue d’un domaine professionnel pragmatique, Sophie ne se pose aucune question. Jusqu’à ce qu’une rencontre inattendue enfonce une porte dont elle ne soupçonnait même pas l’existence: «Je dînais avec un ami et son épouse quand celle-ci m’a annoncé de but en blanc que ma défunte tante était dans la pièce avec nous et qu’elle avait un message à me transmettre, raconte-t-elle. J’ignorais que cette femme était médium et cela m’a complètement prise de court. Selon elle, ma tante voulait me révéler que j’avais des capacités que je n’utilisais pas.»
Curieuse, Sophie brûle d’en savoir plus. Elle se rend donc chez l’épouse de son ami, qui lui propose de réaliser une méditation: «Je n’avais jamais médité de ma vie! raconte-t-elle. Rapidement, je suis entrée dans un état de conscience modifié et j’ai ressenti une présence à mes côtés. J’ai vu une femme que je ne connaissais pas et j’ai ressenti une forte douleur à la poitrine. J’ai su que cette femme était décédée d’un cancer.»
La suite de l'histoire est digne de faire frissonner les âmes les plus rationnelles: «Après la méditation, mon amie m'a confirmé que toutes les informations que j'avais perçues étaient justes et m'a montré une photo de la défunte. Cette femme n’était autre que l’ancienne propriétaire de la villa, décédée d’un cancer du sein. Puis, elle m'a dit tout naturellement: 'Sophie, je t’annonce que tu es médium.' Un peu déboussolée par cette révélation, je ne savais pas trop quoi en faire.»
Direction l’école des médiums
Évidemment intriguée, Sophie se lance dans des recherches, afin de découvrir s'il est possible d'apprendre à utiliser ces outils pour mieux les maîtriser. C'est alors qu'elle découvre la Arthur Findlay College, une école de spiritisme britannique qu’elle compare avec humour au château de Harry Potter. Sur place, elle ne rencontre pas des sorciers et des hiboux, mais des personnes qui lui semblent «ordinaires», dotées de parcours variés, venues dans l'espoir de développer leurs compétences.
Durant la première journée de cours, les élèves forment des binômes pour réaliser des exercices pratiques. Sophie raconte qu'elle s'était d'emblée retrouvée face à une jeune Française: «J'ai ressenti chez elle un profond chagrin lié à la perte de son compagnon trois mois auparavant, explique-t-elle. J'ai senti la présence de son compagnon à nos côtés. Il m'a donné plusieurs précisions, telles que les circonstances précises de sa mort, afin que sa compagne puisse l’identifier. Il m'a ensuite montré l’image d’un boulet accroché à la cheville de la jeune femme, afin de m'expliquer qu'il souhaitait qu'elle se libère du poids de la culpabilité, qu’elle continue d’avancer dans la vie et qu’elle s’autorise à être à nouveau heureuse.»
L’émotion déborde dans le regard de Sophie alors qu’elle revient sur cette expérience: «Ce n’est qu’à la fin de l’exercice que la jeune Française m’a avoué qu’elle n’était pas venue pour travailler ses facultés, mais pour découvrir s’il y a quelque chose après la mort. Aujourd’hui, elle va bien, elle a rencontré quelqu’un et fondé une famille. C’est là que j’ai compris que la médiumnité peut vraiment aider et réconforter les gens, éclairer leur chemin et les aider à avancer.»
Les «connexions sauvages»
Alors qu’elle commence à s'investir dans cette nouvelle passion, Sophie concède qu'elle peine à ne pas absorber les émotions des personnes qu'elle rencontre sur sa route: «J’ai mis du temps à apprendre à fermer mon canal une fois la connexion terminée, décrit-elle. Malgré ce bouclier mental, il m’arrive encore de vivre ce que j’appelle des 'connexions sauvages'. Lors d’un voyage à destination de l’Arthur Findlay College, j’ai involontairement perçu des images issues du passé d’un homme assis à côté de moi à l’aéroport: j'ai vu qu’il avait été maltraité dans son enfance. Sa peine et sa tristesse m’ont touchée en plein cœur. Par une incroyable coïncidence, nous nous sommes retrouvés dans le même cours en Angleterre et avons pu travailler sur ces douloureux souvenirs, afin qu’il se libère de son passé.»
En partageant ses expériences avec son entourage, Sophie comprend rapidement que certaines personnes n’adhèrent pas: «Malgré le fait que la médiumnité ne soit ni sectaire, ni religieuse, elle fait encore peur. J'ai compris que je n'arriverais pas à convaincre quiconque de croire en quelque chose qui lui semble impossible.» Depuis, elle aborde le sujet de la médiumnité uniquement avec les personnes envieuses de partager sa passion.
Une nouvelle vision de la mort
Pour elle, il en va de même avec les défunts: «Je ne peux pas leur imposer d'entrer en contact avec moi, je ne peux que les inviter. Si un défunt vient, c’est qu’il a quelque chose à apporter. Dans mon expérience, tous les défunts que je côtoie viennent avec bienveillance et respect.»
Des récits, Sophie en a des dizaines, qui lui reviennent au fur et à mesure de notre discussion: «J'ai rencontré une jeune enfant qui avait vu son père décéder sous ses yeux dans des conditions très choquantes. Sa mère m’a remerciée, par la suite, car nos discussions l’ont aidée à avancer dans son deuil. Ce type d’échange donne du sens à ma vie.»
Aujourd'hui, Sophie m'explique qu'elle pose un nouveau regard sur la mort, qu'elle ne perçoit plus comme une fin en soi, mais comme une suite: «Savoir que les défunts sont partout autour de nous, qu’ils nous accompagnent et que nous les retrouverons après la mort est très réconfortant», partage-t-elle.