«Dès qu’on aura trouvé ton adresse, tu vas brûler comme Jeanne d’Arc», «On va t’handicaper à vie»… Voilà les propos qu’ont découvert, imprimés sur des lettres anonymes, Mathilde Marendaz (Ensemble à gauche), Samson Yemane (PS) et Mathilde Mottet (PS), début septembre. Les phrases et les tournures se font écho, suggérant que les enveloppes glaçantes pourraient avoir été expédiées par la même personne.
L’effet d’un tel courrier est évidemment brutal. Angoisse, peur, colère… Contactée par «24 heures», Mathilde Marendaz, candidate aux élections fédérales de cet automne, a notamment admis qu’elle n’avait pas osé dormir chez elle après avoir ouvert la missive.
«Provoquer un sentiment d’insécurité et nous empêcher de faire notre travail, c’est exactement le but recherché par ce genre de personnes», a-t-elle déclaré auprès du média vaudois. Chacun des trois élus romands s’est décidé à porter plainte, tandis que le Ministère public vaudois a ouvert deux procédures.
Le phénomène fait froid dans le dos et interroge: comment en vient-on à formuler de tels propos? Quels facteurs psychologiques peuvent provoquer une telle action? Celle-ci implique-t-elle forcément une volonté d’agir? Pour Elise Dan-Glauser, professeure à l’Institut de psychologie de l’Université de Lausanne, ce type de menace vient souvent d’une émotion puissante et incontrôlable: «Les personnes concernées sont dans l’incapacité de stopper ces impulsions d’action et, dans l’immédiat, ne pensent pas aux conséquences possibles.»
L’experte souligne que cette émotion suscite une réaction physique telle qu'une accélération du rythme cardiaque, ainsi qu'une envie impérieuse d’agir, guidée par une forte colère.
Un manque de régulation des émotions
Cette émotion pressante trouve son origine dans une série de pensées liées à des situations que chaque individu évaluera de manière totalement personnelle, selon son passé, son tempérament et ses difficultés. Ainsi, la spécialiste constate qu’une décision politique peut être interprétée comme une attaque personnelle, à l’encontre de l’individu lui-même ou de sa communauté d’appartenance.
«Par exemple, une personne au chômage sera potentiellement plus touchée par des décisions ou des discours liés à l’emploi, explique-t-elle. Ce genre de déclencheur peut résulter d'un sentiment d’injustice, à l’origine de toutes les réactions de colère. Dans les cas où cette émotion n’est pas gérée, l’action qu’elle projette risque de prendre la forme de discours agressifs ou de menaces.»
En effet, avant de déborder, la fureur s’accumule, grandit, s’intensifie… Elise Dan-Glauser ajoute que ce type de comportements indique une difficulté dans la régulation des émotions: «Les personnes concernées se laissent envahir par leur colère et ne trouvent aucun autre moyen de se calmer que de passer à l’action, en rédigeant des menaces. Cela suggère également un manque de conscience de la réalité, dans la mesure où les personnalités politiques visées sont déshumanisées, considérées comme des symboles davantage que des individus à part entière.»
Pourquoi ces menaces?
Mais que cherchent les personnes concernées au travers de ces expressions de haine? Elise Dan-Glauser déplore la rareté des études scientifiques consacrées à cette question. «On peut toutefois formuler l’hypothèse qu'elles cherchent une forme de dissuasion, en essayant d’influencer les décisions de la personnalité politique visée.»
Par ailleurs, il se peut que l’émetteur souhaite se décharger de l’émotion désagréable ressentie: «Dans ce sens, les menaces permettent de reprendre le contrôle et d’atténuer la violence que la personne héberge à l’intérieur d’elle-même. Des études ont démontré l’effet cathartique de la communication d’émotions, suggérant que la simple formulation de menaces peut contribuer à soulager un état émotionnel désagréable.»
L’anonymat renforce la violence
Cela dit, notre experte précise que les émetteurs de ce type de menaces ne souffrent pas forcément de troubles psychopathologiques, «bien que leurs réactions dénotent clairement un problème de contrôle des impulsions».
D’après une étude publiée en août 2022 dans la revue «Neuroscience & Biobehavioral Reviews», les individus peinant à réguler leurs émotions au quotidien font effectivement l’expérience de périodes de détresse plus longues et plus sévères. Selon la recherche, ce phénomène peut être associé à différentes formes de psychopathologie, décrites par des modèles théoriques de dépression et d’anxiété. Impossible, donc, d’émettre un diagnostic clair.
Notons également que le caractère anonyme des menaces peut décupler la violence du message: «Des études ont démontré que l’émotion négative ressort de manière plus violente lorsque l’émetteur est anonyme, ajoute l’experte. Cela se retrouve aussi sur les réseaux sociaux, puisque l’utilisation d’un pseudonyme permet d'écarter les barrières normatives et viser une action impudente et impunie.»
La plus récente recherche, parue en août 2023 dans la revue «Agression and Violent Behavior», démontre une relation évidente entre l'anonymat et les agressions digitales, dont le cyberharcèlement.
La violence physique est-elle à craindre?
Il est tout aussi difficile de déterminer si ce type de propos augure un véritable passage à l’acte: «En général, la violence verbale va de pair avec la violence physique, constate l’experte. Les études confirment que les patients verbalement violents ont de fortes chances de se résoudre à l’expression physique de leur colère. Il s’agit cependant de cas où la victime est physiquement accessible.»
Elise Dan-Glauser constate en outre la dichotomie entre le caractère prémédité d’une agression physique et l’aspect impulsif d’un courrier de menaces, souvent rédigé sur le vif, sous le coup de l'émotion: «Il n’est pas exclu que certaines menaces aillent plus loin, mais ce type de lettres n’aboutit généralement pas à un acte physique.»