C’est l’un des grands mystères de l’existence: comment se fait-il que vous vous souveniez précisément de votre plus grande honte quand vous aviez 15 ans et pas d’une conversation tenue il y a dix jours? Le responsable est bien sûr le cerveau, qui fait le tri entre les informations pour transformer certaines d'entre elles en souvenirs et jeter les autres aux oubliettes. Jusqu’ici, le processus général était connu, mais une récente étude américaine, publiée dans la revue «Science», apporte de nouveaux éléments sur le fonctionnement exact de ce fameux tri. Et surtout, elle souligne que l’essentiel est de permettre à notre cortex de profiter de pauses.
Alors comment ça marche? Toute la journée, nous vivons des choses. Nos neurones se mettent alors en branle et se rassemblent pour former des «ondulations d’ondes aiguës». Celles-ci ont une mission: indiquer les informations importantes à retenir pour les distinguer des autres, et permettre au cerveau de trier ensuite. C’est une sorte de «pré-tri» qui facilite la tâche du cortex, celui-ci s’activant essentiellement le soir et la nuit pour analyser les informations transmises. Typiquement, si vous empruntez un itinéraire pour la première fois, les neurones devraient s’agiter pour le signaler et faire en sorte que vous reteniez la route. «C’est comme un feu d’artifice dans la tête», résume Wannan Yang, l’une des autrices de l’étude, auprès du média spécialisé «Quanta Magazine».
Le cerveau a deux modes différents
Ce que montre aussi l’étude, c’est que ce feu d’artifice n’advient pas au moment même où nous vivons des expériences, mais bien quand on se pose après les avoir vécues. L’expérience a été menée sur des souris, qui ont dû parcourir plusieurs fois un labyrinthe. Les chercheurs ont observé que les ondulations d’ondes aiguës se déclenchaient lorsque les rongeurs s’arrêtaient, et notamment lorsqu’ils en profitaient pour boire de l’eau sucrée.
Ensuite, pendant la nuit, le cerveau se repassait ces ondulations d’ondes aiguës. Le lendemain, les mêmes souris avaient retenu la partie du chemin dans le labyrinthe parcourue avant leur petite pause fraîcheur. Autrement dit, le cerveau possède deux modes: celui, lorsque vous êtes actif, qui emmagasine les souvenirs. Et celui, lorsque vous vous arrêtez, qui les trie et les stocke. Si vous dormez tout le temps, impossible de créer des souvenirs. Si vous êtes tout le temps en éveil, ce n’est pas possible non plus. L’essentiel est donc d’alterner, explique György Buzsáki, professeur de médecine à l’université de New York et directeur de l’étude. «Vous devez avoir des interruptions.»
Pour mieux mémoriser, il faut faire des pauses
Pendant la nuit, le cerveau va ensuite «découper» les expériences vécues dans la journée, en sélectionnant celles qui ont déjà été «étiquetées» par les neurones. Pour mieux les retenir, il va les agréger à d’autres expériences dans l’hippocampe. Il est donc probable que cette fameuse honte vécue à 15 ans soit reliée à d’autres moments désagréables par exemple.
L’expérience de György Buzsáki montre une chose: que vous vouliez être créatif ou retenir les notions indispensables au passage de vos examens, vous ne pouvez pas travailler tout le temps. Votre cerveau, donc votre mémoire, ne fonctionneront pleinement que si vous vous octroyez des moments de calme. Inutile de boire de l’eau sucrée comme les souris, mais transposé chez les humains, cela signifie qu’une sieste, une balade au parc ou une pause à la machine à café sont bénéfiques pour la mémoire. L’essentiel est de savoir se détendre et se faire plaisir.