Un célèbre psychanalyste allemand le dit
«Les frères et soeurs aînés ont un rôle central, mais subissent beaucoup de pression»

Dans son nouvel ouvrage, le psychanalyste allemand Wolfgang Schmidbauer met en lumière les défis et les privilèges que vivent souvent les aînés, au sein de la structure familiale.
Publié: 19.09.2024 à 19:58 heures
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Dernière mise à jour: 21.09.2024 à 07:50 heures
Lorsqu'un deuxième enfant arrive, le premier se sent dépossédé de son trône, doit soudain se montrer raisonnable et se contenter de moins d'attention.
Photo: Getty Images/Westend61
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Alexandra Fitz
Lorsqu'un deuxième enfant arrive, le premier se sent dépossédé de son trône. Il doit soudain se montrer raisonnable et se contenter de moins d'attention.
Photo: Getty Images/Westend61

«Lorsque ma mère est née, sa grande sœur Maria a sorti le couteau à découper de la cuisine et l'a posé sur le balcon, un jour de pluie. Interrogée sur le sens de cette mesure, la petite fille de quatre ans répondit: 'Si le couteau est mouillé, il va rouiller. Et quand il est rouillé, je coupe le bébé avec. Alors le bébé aura une septicémie et mourra!»

Cette histoire s'est déroulée en 1913 et appartient à Wolfgang Schmidbauer, 83 ans, l'un des psychanalystes les plus renommés d'Allemagne. Début septembre, il publiait «Premiers-nés: Comment ils sacrifient leur enfance à leurs frères et sœurs» (uniquement disponible en allemand pour l'instant), un ouvrage qu'illustre parfaitement son anecdote familiale. Car bien que la vivacité de la petite Maria, âgée de quatre ans au moment des faits, aurait pu être interprétée comme une preuve d'intelligence, ses parents n'ont évidemment pas perçu cela de la même manière, si bien que l'enfant avait été sévèrement punie. 

L'aîné perd son trône

Or, ce genre de réflexions, bien qu'un peu radicales, peuvent traverser l'esprit d'un enfant lorsqu'un deuxième frère ou une deuxième sœur vient s'ajouter à la famille. Wolfgang Schmidbauer qualifie de «crise» l'arrivée d'un bébé dans la structure familiale existante: «Il arrive que les premiers-nés ne parviennent pas à pardonner leur mère d'avoir mis au monde un deuxième enfant et de l'aimer peut-être davantage. Ce sentiment peut être totalement inconscient».

L'enfant aîné se sent ainsi éjecté de son trône, doit soudain être raisonnable et se contenter de moins d'attention. De leur côté, les parents se voient obligés de rester constamment en alerte, car le comportement de leur premier enfant peut énormément fluctuer, passant d'une grande tendresse pour son cadet à une soudaine envie de l'éliminer. 

Quels sont les défis principaux des aînés?

D'après le psychanalyste, les premiers-nés ne mènent pas une vie plus difficile en soin, mais affrontent quelques difficultés bien spécifiques: 

  • Ils doivent réprimer beaucoup d'agressivité, car le temps de l'attention exclusive est révolu.
  • Ils doivent prendre très tôt beaucoup de responsabilités, céder et partager.
  • Des phrases comme «tu dois être raisonnable, tu es le plus grand» sont souvent employées par les parents.
  • Ils grandissent en critiquant leurs parents.
  • Ils sont les représentants des valeurs familiales et les revendiquent avec véhémence.
  • Ils ont certes un rôle de premier plan, mais celui-ci les met également sous pression.

Or, Wolfgang Schmidbauer ne plaide en aucun cas en faveur des enfants uniques. Car malgré tous les conflits entre frères et sœurs, il dit estimer toujours, avec humour, que «les frères et sœurs sont terribles; mais ne pas en avoir est pire». Dans son ouvrage, il souligne en effet qu'il existe des différences fondamentales entre les premiers-nés et toutes les autres positions de frères et sœurs. «Si nous nous les rappelons, nous comprendrons mieux les conflits passés et actuels». L'expert nous invite donc à mieux prendre conscience de ces dynamiques - souvent inconscientes.

«Les parents doivent être justes»

Puisque les enfants développent très tôt un sens clair de la justice, le psychanalyste estime que les parents devraient s'efforcer d'être justes, en évitant les phrases du type «Tu dois être raisonnable, tu es le plus grand», ou encore «Laisse donc ta sœur te prendre ton jouet». Pour lui, il faudrait enseigner aux enfants que chaque membre de la fratrie doit être tout aussi raisonnable et qu'ils doivent se mettre d'accord. Sinon, tout autre comportement risque d'être vécu comme un affront par l'enfant qui vient de naître.

Les frères et sœurs gagnent à en discuter

Les frères et sœurs peuvent également discuter entre eux de leurs rôles respectifs. «L'idéal est de réfléchir à cette ambivalence et d'en parler, sans tenir des propos jugeants comme «Tu as tort et j'ai raison». Cela n'est cependant pas toujours possible, puisqu'une réflexion commune autour d'une relation nécessite une ambiance sereine et des conditions favorables.

Entre Wolfgang Schmidbauer et son frère, décédé cinq semaines avant la sortie de l'ouvrage, elles ne l'étaient pas, dans la mesure où son cadet n'était pas ouvert à de telles discussions. L'auteur entrelace ainsi son histoire personnelle avec des conflits célèbres entre frères et sœurs et l'évolution sociale de la famille nucléaire.

Il écrit ainsi sur les rivalités des frères Caïn et Abel et leurs rivalités, ou encore du prince Harry qui, dans son livre intitulé «Spare» (ce qui signifie «l'élément gardé en réserve»), se plaint de la concurrence amère entre lui et son frère William, à la fois un «frère bien-aimé» et un «ennemi juré». Des sentiments, entre rivalité et proximité, que la plupart des frères et sœurs connaissent. 

Quels sont les privilèges des aînés?

À noter que les aînés ont aussi des privilèges: «Le premier enfant tient une grande importance pour les parents, poursuit notre intervenant. Il est également considéré comme spécial par le cercle familial élargi, en ayant été le premier.» Or, ces privilèges doivent être considérés de manière ambivalente, dans la mesure où ce rôle de premier plan met les premiers-nés sous pression.

Beaucoup se sentent également responsables vis-à-vis des plus jeunes, et cela durant toute leur vie. Ce sentiment peut prendre la forme de l'autoritarisme, du contrôle, du sacrifice ou simplement de la bonne volonté.

Wolfgang Schmidbauer donne ainsi l'exemple de ses filles qui ont construit une meilleure relation que celle qui l'unissait jadis à son défunt frère: «Il m'est arrivé de témoigner d'une dispute entre elles, précise-t-il. Ma fille cadette avait mal au dos, mais l'aînée voulait qu'elle participe à un cours de yoga. La plus jeune ne se laissait pas convaincre, tandis que l'aînée ne voulait pas lâcher prise. Elle était persuadée que comme le cours lui plaisait, la plus jeune l'apprécierait forcément aussi. J'ai commencé à rire et j'ai dit: 'C'est encore la grande sœur qui est active!'».

Qu'en est-il des cadets et enfants du milieu?

Qu'il soit l'aîné, le cadet ou l'enfant du milieu, chaque rôle de frère et sœur possède évidemment ses avantages et ses inconvénients. Selon l'expert, il est tout à fait judicieux d'y réfléchir et de remettre en question certaines situations et réactions, afin de consolider et apaiser les liens. Parce que les relations entre frères et sœurs sont généralement les plus durables de la vie — et parce qu'elles marquent une existence pour toujours.

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