Monsieur Bing n'est plus. Son fauteuil de cuir noir est vide, un canard est orphelin, Joey pleure, Monica est inconsolable. Il manque un rire dans le «Central Perk».
Il en manque d'ailleurs plus d'un, puisque c'est souvent Chandler qui provoquait tous les autres, comme un ricochet d'humour suffisamment puissant pour réchauffer un café new-yorkais. Et, partout dans le monde, des milliers de fans regrettent cet ami qui les réconfortait depuis l'écran de leur télévision.
«Une partie de moi s'est envolée», «C'était mon préféré», «C'est en lui que je me reconnaissais le plus», «Merci d'avoir enchanté mon enfance», peut-on lire sur Instagram, alors que les hommages pleuvent. Car derrière l'attachant et inoubliable Chandler, il y avait Matthew Perry, 54 ans, décédé le 29 octobre 2023 dans son domicile, à Los Angeles.
Après avoir livré un long combat acharné contre une addiction aux analgésiques et à l'alcool, l'acteur avait livré ses mémoires, «Friends, mes amours et cette chose terrible», dont la version française était parue le 10 novembre 2022 chez Michel Lafon. D'après TMZ, premier média à révéler le drame, aucune trace de drogues n'a été détectée dans l'appartement du comédien au moment de son décès.
L'impression de le connaître
En une décennie et dix saisons, diffusées entre 1994 et 2004, la série «Friends» a atteint un succès colossal, touchant 52,2 millions de spectateurs d'après le «New York Times». La voix de Matthew Perry, alias Chandler Bing, a imprégné nos salons, séché nos larmes, accompagné nos soirées et brisé le silence de notre solitude. Difficile de croire qu'on ne le connaissait pas vraiment, au fond.
«Je ne sais pas pourquoi je pleure, admet l'écrivain britannique Matt Haig sur Instagram. Il y a d'autres actualités plus grandes, en ce moment. Je ne pleure jamais la mort d'une célébrité. Peut-être que je m'identifiais beaucoup à lui, à ses problèmes de santé mentale et d'addiction.»
L'auteur de «La Bibliothèque de Minuit» n'est pas seul. Depuis l'annonce du décès, l'émotion enserre la Toile, tandis que des artistes tels que Lucie Claire Dunbar et Charlie Mackesy, illustrateurs britanniques, saisissent leurs crayons pour exprimer leur tristesse. On peut alors se demander, comme l'a fait Matt Haig: mais pourquoi se sent-on si proche d'une personne qu'on n'a jamais rencontrée?
Ainsi que l'explique le psychologue Robert A. Neimeyer, directeur de l'institut «Loss and transition» de Portland, aux États-Unis, le deuil est largement basé sur l'attachement: «Nous sommes capables de nous attacher à d'autres êtres humains, mais aussi aux animaux et aux objets, précisait-il auprès du 'Washington Post', après le décès de la juriste Ruth Bader Ginsburg en 2020. Quand ceux-ci sont perdus, nous pouvons ressentir un deuil significatif. Cela s'applique également aux personnes que nous n'avons jamais rencontrées personnellement.»
Une projection nostalgique
Interrogée par «Psychology Today», Aniesa Hanson, docteure en psychologie, ajoute que notre relation aux célébrités est différente de celle qui nous unit à notre entourage: «Nos liens émotionnels à une personne influente sont basés sur une projection de ce qu'elle a pu nous apporter à certains moments de notre vie. Nous ne sommes pas nécessairement liés à la personne elle-même, puisqu'on ne la connaissait pas réellement.»
Or, la disparition d'une star peut tout de même nous briser le cœur, surtout lorsqu'on y était très attaché: «Les liens sont forcément tissés à distance et nous avons tendance à penser que les stars sont immortelles, quand elles sont associées à des expériences nostalgiques», ajoute la psychologue. Cela peut expliquer notre difficulté d'accepter que Chandler Bing, qui nous semblait irréductible et immortel, nous a quittés.
Comment gérer ces émotions
Malgré le réflexe automatique de balayer notre désarroi («Il faut que j'arrête, je ne le connaissais même pas!»), la tristesse que peut provoquer une telle annonce est tout à fait valide: «Le deuil, c'est le deuil, insiste Aniesa Hanson. Le fait d'ignorer vos émotions n'accélérera pas le processus, au contraire!»
Suite à la disparition de Ruth Bader Ginsburg, le «Washington Post» avait dressé une liste de conseils pour mieux accueillir nos ressentis:
- Éviter de se juger, ou de juger autrui. «Le deuil est très individuel, précisait la psychologue Rachel Brandof, de l'Université de Philadelphie, auprès du média. Les besoins de chaque personne sont différents. Même en considérant nos expériences passées, on ne peut jamais prédire comment chacun va réagir.»
- Se connecter aux autres. Le fait de se rassembler autour d'une blessure commune peut s'avérer très réconfortant, permettre de partager nos émotions et se sentir moins seul.
- Soutenir une cause. Si l'histoire de Matthew Perry vous a touché, il peut être bénéfique de s'intéresser aux causes qu'il représentait, dont la lutte contre l'addiction, et déployer des actions pour les soutenir.
- Noter ses émotions. Ce conseil peut paraître cliché, mais écrire ou dessiner nos ressentis est une excellente manière de les accueillir, afin de s'en libérer petit à petit. D'après une étude parue en mars 2023 dans le journal scientifique «Emotion», les personnes qui tendent à juger négativement leurs émotions sont plus susceptibles de souffrir d'anxiété ou de symptômes dépressifs. Plutôt que de les refouler ou de les nier, il vaut mieux les analyser avec autant de neutralité que possible. Le fait de les écrire peut déjà nous aider à les observer avec un brin de distance.
- Se changer les idées. Il ne s'agit pas de se distraire totalement de nos émotions en adoptant une stratégie d'évitement, mais plutôt de reconnaître qu'on est un peu triste, avant de s'adonner à des activités qui nous font du bien.
- Ne pas s'isoler. «Si ces émotions deviennent débilitantes, il convient absolument de demander de l'aide», rappelait Rachel Brandoff, toujours au 'Washington Post'. Même si vous ne connaissiez pas personnellement [la célébrité], les effets de sa disparition peuvent être énormes.»