C'est l'une des vidéos virales de la semaine sur TikTok: dès l'ouverture de la piscine d'un complexe hôtelier de Tenerife, les vacanciers fondent sur les transats tels des pigeons attirés par les miettes d'une terrasse estivale. En plus d'amasser des millions de vues, le clip a entraîné un immense débat sur les réseaux sociaux: est-il acceptable d'aller déposer un linge sur un transat pour le réserver pour la journée?
Une question existentielle, vous en conviendrez, et qui mérite une réponse. Pour l'obtenir, nous nous sommes tournés vers Kevin Kleger. Il a le nom d'une star d'Hollywood, le look d'un surfeur mais surtout le titre très utile d'avocat dans la prestigieuse étude Rosenberg à Saint-Gall.
Un vide juridique
Existe-t-il une jurisprudence des linges de bain? Non, répond l'homme de 37 ans: «En Suisse, il n'y a aucune réglementation uniforme, ni même de loi, concernant de près ou de loin la réservation des chaises longues.» Face à ce vide juridique, il faut se tourner vers la loi de manière plus large. «Dans un hôtel, on paie pour l'utilisation des espaces communs et de l'infrastructure. Mais celle-ci doit être partagée pour tous les clients», analyse Kevin Kleger.
Poser son linge sur un transat dans le but de le réserver relève donc de l'usage excessif d'une chose louée, surtout si la chaise longue n'est pas utilisée en permanence. «Mais ce n'est pas réglé aussi spécifiquement dans la loi», tempère l'avocat.
Afin d'éviter des scènes similaires à celles vécues sur l'archipel des Canaries, de nombreux hôtels prennent les devants et règlent eux-mêmes le problème des linges de bain. Soit par une mention que toute réservation est interdite, soit en faisant enlever les objets du courroux par le personnel après un certain temps.
«Il suffit d'inscrire cela dans le règlement de maison et la loi est respectée», confirme le juriste saint-gallois. C'est même moralement plus acceptable, car davantage de clients peuvent utiliser l'infrastructure pour laquelle ils ont payé.
La Suisse peu concernée
Reste une question: est-on autorisé à ôter un linge abandonné sur un transat? Kevin Kleger grimace: «C'est plus dur de répondre à cela. Car le client peut très bien être allé brièvement se baigner. Dans ces cas-là, c'est plutôt le bon sens qui prévaut.»
Une habile pirouette, car le cadre légal est très évasif. Des dispositions différentes s'appliquent selon les pays, et le droit hôtelier peut également diverger. «Il faudrait un litige qui aille jusqu'en justice pour en savoir plus, mais il est peu probable que cela arrive», sourit notre interlocuteur.
Quoi qu'il en soit, la Suisse semble à l'abri d'une guerre des transats: HotellerieSuisse affirme que le phénomène est «pas connu, ou très peu» dans nos contrées. Le problème concerne surtout les établissements à l'étranger, en particulier en bord de mer, précise la faîtière du domaine.
Le craquage d'un Gallois
Un clic sur Google le confirme: il suffit de taper «guerre des transats» pour s'apercevoir que le problème est presque aussi vieux que les transats (appelés ainsi parce qu'ils sont apparus initialement sur des bateaux de croisière traversant l'océan).
En 2007, un Gallois a décidé de se faire justice lui-même. Furieux de voir toutes les chaises longues de l'hôtel italien dans lequel il descendait squattées par des touristes allemands, il a décidé de venir encore plus tôt au troisième jour de son séjour. Il a rassemblé tous les linges de bains et y a mis le feu, sous les acclamations de ses compatriotes britanniques.
Cela lui a certes valu d'être arrêté par la police puis conduit au poste, mais il a pu en ressortir sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui: l'hôtel, à qui appartenaient les linges, est intervenu en sa faveur. Mais son initiative a fait long feu, à en croire les images de Tenerife quinze ans plus tard.