Sournoises, discrètes et agiles, les tiques s’invitent allègrement dans les cauchemars de tous les fans de randonnée qui sillonnent les sous-bois et forêts suisses. Tenaces, elles ne leur octroient plus le moindre répit, ainsi que le démontrait une étude allemande publiée en 2020: ces petits acariens suceurs de sang sont désormais actifs tout au long de l’année, en raison des hivers plus doux qui se sont succédé ces dernières années.
Le phénomène est bien connu: lorsqu’elles s’accrochent à la peau d’un hôte pour s’offrir un copieux repas sanguin, ces minuscules créatures peuvent lui transmettre plusieurs virus ou bactéries différentes. Parmi celles-ci, on évoque souvent la borréliose, ou maladie de Lyme, qui concerne environ 10’000 personnes chaque année, d’après l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Les morsures peuvent toutefois mener à d’autres conséquences potentiellement graves, que tout amateur de balade devrait connaître, sachant que les symptômes caractéristiques ne sont pas toujours faciles à attribuer à une tique: celle-ci aime se nicher confortablement dans les recoins humides et discrets du corps (comme l’arrière des genoux) et n’est donc pas toujours remarquée par la victime.
Voici les maladies et les signes physiques les plus fréquents en Suisse, qui devraient vous alerter, surtout si vous aimez les promenades estivales:
L'encéphalite à tiques
Sans doute votre regard inquiet a-t-il déjà buté sur l’acronyme FSME ou MEVE (méningo-encéphalite verno-estivale), qui renvoie à l’encéphalite à tiques. Comme son nom l’indique, ce virus touche 300 à 400 personnes par an, en Suisse, et peut causer une inflammation des méninges suffisamment sévère pour expédier certaines personnes à l’hôpital.
«Les formes les plus graves peuvent causer une paralysie des muscles des mains, des bras ou du tronc, ce qui gêne la respiration, précise le Professeur Gilbert Greub, directeur de l'Institut de microbiologie et médecin-chef des laboratoires de microbiologie diagnostique de l’Université de Lausanne. Il arrive que les personnes concernées arrivent aux urgences pour une faiblesse des mains et finissent aux soins intensifs avec une ventilation artificielle. Bien que les taux de survie soient bons, il n’existe pas encore de traitement contre cette maladie signifiant qu’il faut attendre que l’infection passe.»
Il est toutefois possible de s’en prémunir au moyen d’une vaccination, dont la recommandation vient d’être élargie aux enfants dès 3 ans. Tous les cantons suisses, sauf le Tessin, sont désormais considérés comme des zones à risque, signifiant que la recommandation s’étend à tous leurs habitants friands de balades: «Les formes moins graves peuvent causer de la fièvre et des maux de tête qui peuvent passer rapidement, sans atteindre l’encéphalite sévère, ajoute le spécialiste. On ignore cependant pourquoi certains individus développent une forme grave et d’autres non. Il ne s’agit pas forcément de personnes plus vulnérables. Pour cette raison, une grande prudence est indiquée.» La vaccination comprend trois doses, proposées dans de nombreuses pharmacies, et constitue la seule manière efficace de prévenir la maladie.
La borréliose (ou maladie de Lyme)
Plus commune, mais souvent moins grave, la maladie de Lyme est transmise par une bactérie (la borrelia), et non par un virus. «L’infection se fait de manière sous-cutanée, lors des heures suivant l’inoculation, explique le Professeur Greub. La bactérie peut se disséminer de façon loco-régionale, ou au travers du sang.»
La maladie se développe effectivement en plusieurs stades, parfois étendus sur des mois entiers, tandis que les tests sanguins ne s’avèrent positifs que plusieurs semaines après la morsure. Les premiers symptômes évoquent ceux d’une grippe (fièvre, maux de tête, fatigue), sans oublier une éruption cutanée de couleur rouge tirant sur le brun, parfois localisée à plusieurs centimètres du lieu de la piqûre. En Suisse, cette lésion ne prend pas la forme d’un œil-de-bœuf, qu’on voit fréquemment apparaître sur Google.
«La borréliose se développe plus lentement que l’encéphalite et le risque est corrélé à la durée du repas sanguin de la tique, poursuit notre expert. Il devient significatif après 24h d’inoculation et est réduit lorsqu’on parvient à retirer rapidement la tique. Il est donc important d’être attentif, mais on sait que certaines morsures passent inaperçues, puisque 20% de la population ont développé, à leur insu, des anticorps contre cette bactérie.»
En effet, seuls 2 à 3% des personnes mordues vont contracter la maladie de Lyme, qui concerne 20 à 30% des tiques suisses. «Ainsi, même si vous êtes mordu par l’une d’entre elles, vous n’aurez donc qu’une chance sur dix d’être infecté, poursuit le professeur Greub. On recommande donc de s’examiner au retour de la balade, ainsi que les enfants, afin de pouvoir retirer l’acarien dès que possible à l’aide d’une pince prévue à cet effet, disponible en pharmacie.»
Dans tous les cas, notre intervenant déconseille de céder à la panique, rappelant que le risque est minime: «Seuls 3% des personnes piquées par une tique s’infectent par la borrélia de Lyme. De plus, cette maladie peut être traitée de manière très efficace au moyen de divers antibiotiques. Dans de rares cas, elle peut atteindre le cœur, ce qui nécessite des traitements intraveineux, sous une surveillance minutieuse. Mais si on est vacciné contre l’encéphalite à tiques et attentif aux symptômes de la borréliose, il n’y a pas de quoi s’alarmer.»
La tularémie
Actuellement rare, cette maladie infectieuse surnommée la «fièvre du lapin» est transmise à l’homme via un contact avec un animal malade (en mangeant une viande pas suffisamment cuite ou durant la chasse, par exemple). D’après la plateforme ch.ch, la moitié des contaminations suisses sont causées par des piqûres de tiques, alors que seuls 682 cas ont été déclarés entre 2004 et 2019. L’OFSP indique toutefois que ce nombre tend à croître sensiblement au fil du temps.
Les symptômes les plus courants sont comparables à ceux de la grippe ou d’ulcères cutanés, et nécessitent une prise d’antibiotiques. Il n’existe pour le moment aucune vaccination permettant de se protéger contre la tularémie.
D’autres maladies sont à l’étude
Les morsures de tiques peuvent avoir malheureusement d’autres conséquences, actuellement en cours d’étude: «On sait qu’elles portent beaucoup d’autres virus ou bactéries dont la dangerosité n’est toutefois pas prouvée, indique le professeur Greub. C’est le cas du virus Alongshan, découvert de manière fortuite en Chine, en Russie, en Autriche, en Allemagne et également détecté en Suisse. Aucun cas de maladie n’a cependant été documenté chez nous. Des études réalisées en Algérie et en Suisse démontrent aussi que les tiques peuvent porter certains types de chlamydias. Mais on ne connaît pas encore les conséquences possibles.»
Notre expert rappelle par ailleurs l’existence de la rickettsiae, l’agent de la fièvre boutonneuse, une maladie grave provoquant une fièvre, des maux de tête et des éruptions cutanées disséminées sur tout le corps: «Certaines espèces entraînent jusqu’à 3% de mortalité, mais ceci ne semble pas concerner les tiques suisses. On la décèle, dans la majorité des cas, chez des personnes qui rentrent d’Afrique du Sud ou du pourtour méditerranéen (Portugal, Espagne ou Tunisie). Les tiques d’Afrique du Sud vont attaquer en groupe, ce qui fait qu’on observe plus souvent la fièvre boutonneuse africaine que celle de Méditerranée. En effet, les tiques qui transmettent la fièvre boutonneuse méditerranéenne préfèrent les chiens, mais il peut arriver qu’elles mordent également les humains.»
Afin de mieux analyser les tiques trouvées en nature et sur les individus, plusieurs projets sont en cours. Parmi ceux-ci, le professeur Greub évoque la possibilité d’envoyer les acariens débusqués directement aux chercheurs: «Si vous en repérez un sur votre peau, vous pouvez aller sur l’application Zecke, qui vous fournira l’adresse d’un laboratoire partenaire, auquel envoyer le spécimen, conclut-il. Celui-ci sera testé pour différentes bactéries et les données seront utilisées pour les recherches.»