«C’est horrible, pourquoi je dois vivre ça…» Dans cette vidéo postée sur TikTok, l’influenceuse mariappymeal (1,5 million d’abonnés) se filme en larmes après avoir été quittée et partage avec sa communauté sa tristesse, sa colère, mais également ses tentatives pour aller mieux.
Dans cette autre vidéo à l’esthétique plus léchée et cumulant près de 230'000 «j’aime», on découvre la créatrice de contenu celinemonsoon faire ses valises, là aussi en pleurant, après une relation longue de quatre ans.
Alors que les réseaux sociaux regorgent de contenus mettant en avant des amoureux tout sourire, des relations supposées parfaites ou encore des soirées de Saint-Valentin à faire pâlir d’envie les plus fleurs bleue d’entre nous, comment expliquer que les hashtags #breakup (rupture) #sad (triste) ou encore #tears (larmes) cumulent à eux seuls des milliards de vues sur le réseau social préféré des 15-25 ans?
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Confessions intimes et travail de médiatisation
Sociologue et directrice du Medialab de l’Université de Genève, Claire Balleys note que ces contenus que l’on voit passer en ce moment et qui ont récemment attiré l’attention de certains médias sont dans l’immense majorité des cas le fait de créateurs et créatrices de contenu possédant une importante communauté en ligne, dépassant parfois les 100'000 abonnés, et dont les publications cumulent plusieurs millions de «j’aime».
«On n'est absolument pas dans le cas de l’ado du cycle d’orientation d’à côté qui se filme en train de pleurer après une rupture, mais bien dans celui de créateurs de contenus 'professionnels'. Ces vidéos, souvent savamment mises en scène, font dès lors partie intégrante de leur travail de médiatisation dans le but de fidéliser une audience, mais également de construction de leur image de marque», explique la spécialiste qui poursuit en évoquant la tendance actuelle consistant à faire preuve de plus d’authenticité et de vulnérabilité sur les réseaux sociaux et pouvant expliquer la grande popularité de ces vidéos.
Identification et réconfort
Selon Claire Balleys, une autre raison expliquant la popularité de ce type de contenus réside dans le fait que ces vidéos où l’on découvre ces «célébrités» des réseaux au fond du trou, les yeux rougis et la goutte au nez suite à un chagrin d’amour induisent un fort processus d’identification: «La personne qui va regarder un contenu de ce type va se dire: 'Je vois que cet influenceur, même s'il a du succès et est très suivi, traverse les mêmes épreuves que moi'.»
Un sentiment de résonance auquel s’ajoute, selon la sociologue, une importante dimension participative: «Lorsque l’on se rend dans la section commentaires de ce type de publications, on est à la fois frappés par leur nombre, parfois plusieurs milliers, mais également par les témoignages qu’ils contiennent, témoignages qui débouchent le plus souvent sur des échanges entre plusieurs membres de la communauté qui ne se connaissent pas, mais qui partagent leur propre histoire et se réconfortent mutuellement».
Génération exhibitionniste?
Pour autant, selon Claire Balleys, il serait faux de déduire du succès de ces vidéos que tous les 15-25 ans déversent leur vie privée et peines de cœur sur internet à la vue de tous: «Contrairement à ce que l’on entend parfois, les jeunes ne sont pas plus 'exhibitionnistes', qu’avant.»
Au contraire, dans le cadre des travaux de recherches qui m’occupent actuellement, on constate que l’immense majorité des 15-25 ans, qui ont grandi avec les réseaux sociaux et en ont parfaitement intégré les codes, sont en réalité très soucieux de ce qu’ils dévoilent, comment et surtout à qui» conclut la spécialiste qui évoque «l’effet de loupe» généré par ces vidéos virales, mais ne reflétant pas les pratique d’une génération entière.