Deux experts analysent le phénomène des «iPad Kids»
«Je vois des enfants de six mois passer jusqu’à six heures par jour sur les écrans»

Selon les experts, l’usage abusif des écrans chez les tout jeunes enfants augmenterait le risque de retards dans l’apprentissage du langage. Pour Blick, un médecin et une chercheuse décryptent le phénomène préoccupant des «iPad Kids».
Publié: 13.05.2024 à 21:30 heures
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Dernière mise à jour: 14.05.2024 à 09:08 heures
Un nombre restreint de mots de vocabulaire, une plus grande difficulté à former des phrases simples.. un usage abusif des écrans peut impacter l'apprentissage chez les très jeunes enfants.
Photo: Shutterstock
Margaux Sitavanc

Peut-être l’avez-vous déjà constaté: en 2024, il n’est désormais plus rare de croiser de très jeunes enfants encore installés dans leur poussette, mais déjà les yeux rivés sur un écran de smartphone ou de tablette. En 2015 déjà, une étude américaine publiée dans la revue «Pediatrics» indiquait qu’à l’âge de quatre ans, 75% des enfants possédaient déjà leur propre appareil électronique. 

Presque dix ans plus tard, de nombreux médecins, chercheurs ou enseignants tirent la sonnette d’alarme et appellent à un durcissement des recommandations, voire même à une interdiction des écrans avant l’âge de trois ans.

En cause, les multiples dangers que ces derniers représenteraient pour le cerveau et le développement de ceux qu’on appelle désormais de manière péjorative les iPad Kids. Chercheuse au sein de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation de l’Université de Genève, Estelle Gillioz prépare actuellement une thèse de doctorat sur les effets de l’exposition aux écrans sur les enfants âgés de six mois à trois ans: «On soupçonne plusieurs risques en lien avec un usage précoce des écrans, mais à l’heure actuelle, c’est au niveau de l’apprentissage du langage que les études sont les plus nombreuses et les plus unanimes.»

Un nombre restreint de mots de vocabulaire, une plus grande difficulté à former des phrases simples ou même à babiller, les conclusions de ces études ont de quoi effrayer. Mais elles sont pourtant encore mal connues de certains parents qui pensent au contraire que les programmes «éducatifs» permettent à leur bambin de se développer, explique l’universitaire.

Des mains des parents à celles de bébé

Médecin adjoint au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et co-responsable de l’Unité de guidance petite enfance aux Hôpitaux Universitaires de Genève, François Hentsch explique qu’après la naissance, le développement des capacités de langage et de régulation des émotions de l’enfant dépend très fortement du lien et des interactions avec ses parents.

Selon le spécialiste, l’impact négatif des écrans peut s’observer dès les premiers jours de vie si les parents consultent leur smartphone ou leur tablette en présence de leur nouveau-né: «On observe très rapidement une déconnexion ainsi qu’une désorganisation psychique de l’enfant qui ne parvient plus à capter l’attention de son parent et perd donc une chance de créer ce lien indispensable à son développement.» Un phénomène dit de «technoférence parentale» qui a récemment fait l’objet d’une campagne de sensibilisation de la fondation Action Innocence, notamment au moyen de vidéos explicatives.

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Source de distraction pour les parents, les écrans, leurs sons intrigants ainsi que leurs flashs lumineux suscitent rapidement l’intérêt des enfants et finissent par atterrir dans leurs petites mains potelées, parfois dès les premiers mois de leur vie. Une réalité déplorée par François Hentsch qui met en garde contre le risque d’apparition de troubles neurodéveloppementaux en lien avec une exposition précoce aux écrans: «Dans ma consultation, j’observe fréquemment des enfants de six mois qui passent jusqu’à six heures par jour devant une tablette et parviennent à peine à babiller. Or, c’est précisément à cet âge-là, grâce aux actes de communication ou aux risettes, qu'on pose les jalons nécessaires à l’émergence du langage, mais aussi à l’apprentissage de la régulation des émotions». Et d’ajouter: «Si pendant cette période, l’enfant a les yeux rivés sur un écran plusieurs heures par jour, on s’expose à des conséquences en cascade.»

Aider les parents en crise pour aider l’enfant

Au sein de la consultation ambulatoire intensive parents-bébé mise en place par les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), François Hentsch et son équipe tentent de faire exister les besoins de l’enfant auprès de ses parents en agissant sur les facteurs psychosociaux pouvant mener à une situation de crise et, par voie de conséquence, engendrer des troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant.

Parmi ces facteurs de risque, le médecin mentionne la présence d’une psychopathologie parentale, d’une consommation de toxiques, de conflits de couple ou encore de préoccupations pour sa santé, son logement ou son emploi. «Le but de cette consultation est de faire exister les besoins de l’enfant auprès de ses parents, de leur proposer une guidance afin qu’ils puissent retrouver le plaisir de passer du temps avec leur bébé, mais aussi être fiers de ses acquisitions et se dire «ça, c’est grâce à moi»», conclut François Hentsch.

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Une utilisation saine des écrans?

Afin de guider les jeunes parents vers une utilisation raisonnée des écrans, Action Innocence a mis au point un flyer disponible au format papier ou électronique et listant les bonnes pratiques en la matière. Parmi elles, on retrouve le fait d’éviter l’exposition aux écrans avant l’âge de trois ans, de fixer des règles d’utilisation, mais aussi d’être présent et d’échanger avec son enfant sur le contenu qu’il visionne. «De plus en plus d’études mettent en avant le fait que lorsque les écrans sont utilisés en interaction avec l’adulte, ils peuvent constituer un outil de développement socio-émotionnel et même faciliter l’apprentissage du langage», indique Estelle Gillioz.

Et selon la chercheuse, peu importe à ce titre que le contenu soit de nature éducative ou de pur divertissement: «En tant que parent, vous pouvez tout aussi bien discuter avec votre enfant de son apprentissage de l’alphabet que du contenu d’un épisode de «Peppa Pig» ou de la «Pat’Patrouille». Le plus important, c'est qu’il ne soit pas seul devant la tablette ou le smartphone, mais qu’il y ait un dialogue: «Qu’est-ce que tu as vu? Qu’est-ce que tu as compris? Qu’est-ce que tu en penses?» sont des exemples de questions à poser. Un réflexe d’échange et de débriefing autour des contenus consommés par l’enfant qui, conclut Estelle Gillioz, pourra en outre s’avérer fort utile lors de l’adolescence.

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