Des années 30 à aujourd’hui
Savez-vous d'où vient vraiment l'expression «Summer body»?

Chaque année, à l’approche de la plage, magazines féminins et réseaux sociaux lui accordent une large place: le «summer body» est de retour. Mais d’où viennent cette expression et ces injonctions au corps parfait? On en a parlé avec un spécialiste.
Publié: 10.07.2024 à 19:16 heures
À partir des années 1990, c’est la plantureuse Pamela Anderson qui sert de modèle au corps féminin. L’image de son énorme poitrine moulée dans le maillot rouge échancré d’«Alerte à Malibu» imprègne toutes les rétines du monde.
Photo: Paramount Pictures
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Margaux BaralonJournaliste Blick

C’est un rituel estival aussi incontournable que les festivals de musique en plein air et les rappels sur la nécessité de mettre de la crème solaire: à l’approche des vacances sous le soleil – en tout cas, on l’espère – le «summer body» ressurgit dans les pages des magazines féminins et sur les réseaux sociaux. Un «corps d’été», selon la traduction littérale du terme anglais, qui sous-entend surtout un paquet d’injonctions… et une longue histoire.

Le «summer body», c’est «un corps qui est prêt à être montré sur la plage, à correspondre à ce qu’on attend d’un corps estival», résume ainsi Julien Magalhães, consultant en histoire spécialiste de la mode et des costumes, qui diffuse son savoir avec beaucoup d’humour (notamment) sur Instagram. «En général, et pendant longtemps, cela a correspondu à un corps débarrassé des kilos d’hiver, épilé des poils de l’hiver et préparé au bronzage, voire pré-bronzé.» Dans l’écrasante majorité des cas, l’expression désigne bien le corps féminin, les hommes étant laissés relativement tranquilles.

Depuis quand va-t-on à la plage pour se baigner?

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. D’abord parce qu’aller à la plage ne va pas de soi. Pendant des siècles, c’était même inenvisageable, la mer étant plutôt associée à un danger, notamment de noyade. Seules les classes populaires pratiquent la baignade, pas toujours en mixité et «en général nu, ou avec un pagne», précise Julien Magalhães. On préfère alors faire trempette sur le bord des rivières.

Les choses commencent à changer à la fin du XVIIIe siècle, «surtout chez les Anglais, avec la mode du gentleman farmer» qui pousse à profiter du grand air: «Une petite partie de la population aisée va alors enfiler un maillot de bain pour aller se baigner», précise l'expert. Attention, n’allez pas imaginer un short de bain, «ce sont souvent des tricots assez lourds» et bien couvrants. 

Jusqu’au début du XXe siècle, cette activité est surtout hygiéniste. On ne profite pas des bords de mer pour se faire plaisir mais bien parce que c’est conseillé par les médecins. Comme un certain docteur Monin, médecin français qui, en 1906, dans «Le Trésor médical de la femme», recommande de «s’offrir à la douceur rayonnante de la lumière et à la chaleur plaisante du soleil».

«C’est l’équivalent aujourd’hui des thalassos, pointe Julien Magalhães. C’est jugé bon pour le corps, pour respirer, pour se bouger, et ce sont les gens qui n’ont pas besoin de travailler qui peuvent le faire.»

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La bascule des années 1930

Le côté plus hédoniste des vacances à la plage apparaît… avec le concept même de vacances. En France par exemple, les luttes ouvrières du début du XXe siècle aboutissent à des progrès sociaux, avec les premiers congés payés en 1936. En Suisse, il faudra attendre 1947 pour que les salariés du canton de Genève arrachent deux semaines de vacances rémunérées. «À ce moment-là se diffusent les loisirs de plein-air, poursuit notre consultant en histoire. On va donc au bord de la mer et on imite la bourgeoisie qui va se baigner.»

Dès ce moment-là, l’idée d’un corps «idéal» que l’on exposerait commence à faire son chemin, d’autant que les années 1930 coïncident avec la diffusion plus massive des premiers magazines féminins dédiés à la beauté. Auteur de «La saison des apparences: naissance des corps d’été», l’historien Christophe Granger rappelle dans les colonnes de «L’Obs» que dès 1933, le magazine «Votre Beauté» présente «des tableaux de proportions idéales» du corps féminin. Cela correspond à une taille d’1,68 m, un poids de 60 kilos et une poitrine de 88 cm. «C’est aussi [dans ces années-là] qu’apparaissent les premiers concours pour élire ‘la reine des plages’ ou ‘le plus bel homme de la plage’», détaille le spécialiste.

Ces injonctions sont aussi permises par les avancées techniques. Exemple donné par Julien Magalhães: «À la fin du XIXe siècle, les méthodes de production font que les grands miroirs sont beaucoup moins chers qu’avant. Et l’un des achats des ménages qui peuvent se le permettre, c’est la grande armoire à glace.» Le rapport avec le corps parfait? «Pour la première fois, on va se voir chez soi nu de haut en bas. Avant, on ne se voyait que rarement et plutôt morceau par morceau. La balance arrive aussi… Cela va bouleverser l’image du corps.»

Brigitte Bardot et la Californie sacrent le «summer body»

Tout s’accélère ensuite après la Seconde Guerre mondiale, grâce à deux mouvements. D’abord, celui lancé en France par, notamment, Brigitte Bardot. L’actrice française jeune et blonde provoque un véritable séisme dans le monde entier en se montrant jambes nues dans le film «Et Dieu… créa la femme» en 1956. Aux États-Unis, certaines salles le censurent. En Europe, le Vatican condamne officiellement le film et son interprète principale.

Qu’importe, celle qu’on surnomme «B.B.» s’affiche sur les plages de la Côte d’Azur, dans le sud-est de la France, en bikini à motif vichy, un vêtement minimaliste qui la fait passer à la postérité et se démocratise grâce à elle. L’autre mouvement vient, lui, de la côte ouest américaine. «Le surf, les beach boys, les machines à U.V… la culture californienne influence le reste du monde», note Julien Magalhães. «Et elle montre beaucoup plus le corps que la culture européenne.» Le terme «summer body» apparaît d’ailleurs pour la première fois en 1961 dans une publicité américaine, parue dans le «New York Times» et le «Washington Post». On y vante «une taille fine et ferme, des hanches fines et gracieuses, un corps prêt pour le bikini».

Le modèle californien n’est pas seulement plus dénudé, il est surtout philosophiquement très différent. «Il y a une approche plus holistique en Europe. Le naturisme des Danois n’a rien à voir avec le corps de plage de Los Angeles», illustre Julien Magalhães. «On va chercher un corps qui dort bien, digère bien.» Alors qu’aux États-Unis prédominent «les questions de proportion et d’esthétique» et une «hyper-polarisation des genres» qui pousse les femmes vers des standards de beauté inatteignables.

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Diffusion des injonctions

L’industrie de la mode et de la cosmétique encourage l’émergence du «summer body»… et les injonctions qui vont avec. Comme le résume notre spécialiste, «pour vendre des produits, elles vont dire aux femmes qu’elles sont laides, sentent mauvais et qu’il faut s’en occuper sinon leur homme va partir et elles n’en retrouveront plus. Il faut correspondre à des silhouettes».

Pour écouler des maillots de bain avec de moins en moins de tissu, le marché de la mode diffuse massivement ces silhouettes: «La mode a longtemps été là pour modeler le corps, comme avec les corsets, rappelle Julien Magalhães. Le 'beach body' ou 'summer body', lui, doit être parfait tout seul.» Et il est donc indissociable de la société de consommation.

«Le poids idéal, standardisé selon les codes des compagnies d’assurance, est dans toutes les têtes» à partir des années 1950, abonde l’historien Christophe Granger, toujours dans «L’Obs». Preuve que cela n’est pas toujours bien vécu, dès 1957, le magazine féminin français «Marie-Claire» commence à parler de «complexe saisonnier». Le corps va ensuite aller de plus en plus nu jusqu’au milieu des années 1980. 

La décennie 1970 est celle de l’émergence du fitness, popularisé notamment par l’actrice Jane Fonda aux États-Unis. Les corps musclés et élancés sont donc encore et toujours valorisés. À partir des années 1990, c’est la plantureuse Pamela Anderson qui sert de modèle au corps féminin. L’image de son énorme poitrine moulée dans le maillot rouge échancré d’«Alerte à Malibu» imprègne toutes les rétines du monde. Les formes changent mais les injonctions restent.

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Les réseaux sociaux ont remplacé les magazines

Aujourd’hui, que reste-t-il du «summer body»? Avec l’émergence d’un autre mouvement d’acceptation des corps différents, on pourrait croire que les diktats perdent du terrain. «Il y a une remise en question d’un modèle dominant», admet Julien Magalhães. D’autant que «les tendances étaient dictées par les magazines et qu’aujourd’hui, le poids de la presse a beaucoup baissé dans l’influence sur les corps».

Mais qu’on ne se réjouisse pas trop vite. On lit peut-être moins mais on passe beaucoup de temps vissé sur nos téléphones à scroller sur les réseaux sociaux. «On voit donc beaucoup plus d’images de corps, analyse notre consultant en histoire. Cela a un effet moins agressif que lorsqu’il n’y avait qu’un seul modèle mais on voit apparaître de nouveaux moules sous couvert de pluralisme de physiques.» Les courbes ont la côte, mais seulement lorsqu’elles sont bien placées, et exacerbées avec des implants mammaires et dans les fesses.

L’exemple de Kim Kardashian est très parlant: la star de télé-réalité, devenue femme d’affaires, a imposé une silhouette en sablier (grosse poitrine, gros fessier, taille de guêpe) inatteignable, avant de se faire retirer ses implants et de suivre un régime drastique pour redevenir très mince. Ce qui est tout aussi inatteignable.

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Une polarisation des corps (chez les hommes aussi!)

S’il n’y a donc plus un seul summer body, «on se retrouve avec 3 ou 4 typologies possibles dont il faut se méfier, parce qu’elles sont toujours reprises pour faire vendre quelque chose», résume Julien Magalhães. Pire: les hommes deviennent aussi scrutés que les femmes, dans une sorte de nivellement par le bas des injonctions. «Depuis TikTok, les jeunes garçons sont beaucoup plus concernés par l’image de leur corps qu’il y a encore 10 ans. Toute la culture fitness sur les réseaux, les questions de mâchoire et de cheveux… on leur demande plus de précision esthétique.»

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«On voit beaucoup plus d’images de corps [sur nos smartphones]. Cela a un effet moins agressif que lorsqu’il n’y avait qu’un seul modèle mais on voit apparaître de nouveaux moules sous couvert de pluralisme de physiques.»
Julien Magalhães, consultant en histoire spécialiste de la mode et des costumes
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Pour notre spécialiste, le summer body a donc encore de beaux jours devant lui, même s’il recouvre différentes réalités. «Le corps est un marqueur identitaire très fort et cela va continuer de s’accentuer.» On observe une polarisation: d’un côté on s’affiche à la plage et on fait du fitness. De l’autre, des mouvements comme celui des tradwives, ces mères au foyer américaines au départ, mais qui essaiment partout dans le monde, et qui encouragent toutes les femmes à revenir à la cuisine et à l’éducation des enfants, riment avec «un retour du traditionnel» et un corps plus couvert.

Incarnation de ce balancier d’un extrême à l’autre, l’influenceuse suisse Haneia s’est fait connaître dans plusieurs télé-réalités françaises comme «Les Anges», dans lesquelles elle était une bimbo parmi d’autres. Elle vit désormais dans l’Utah, mariée à un mormon polygame, a revendu tous ses bikinis et s’affiches en longues robes à carreaux… «On va aller vers une multiplication des modèles possibles mais avec tout autant d’exigences», conclut Julien Magalhães.

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