Vous l’entendez, ce silence? Les oiseaux ne chantent plus, le matin. Ils ont levé le camp aussi subitement qu’est apparu le premier «Pumpkin Spice Latte» chez Starbucks. Ou alors, c’est juste qu’ils n’ont pas de train à prendre, eux, préférant rester en peignoir dans leurs nids et se lever avec le soleil. Les petits veinards!
Pour les êtres humains, la nuit du 26 au 27 octobre 2024 marquera le passage à l’heure d’hiver, invitant son habituelle chorale de bâillements. Le moral dans les chaussettes (en laine), on accuse passionnément le blues saisonnier en rêvant de plages ensoleillées.
Ainsi que le constate le professeur Martin Preisig, responsable du Centre d’épidémiologie psychiatrique et psychopathologie (CEPP) du CHUV, le changement d’heure entrave les séances sportives en extérieur, les rencontres sociales en nature, la navigation ou encore le jardinage, après 18h: «On doit alors faire le deuil de beaucoup d’activités qui nous ressourcent, ce qui peut réduire notre qualité de vie et obscurcir l’humeur.» Voilà un terreau fertile pour ce que notre intervenant appelle le «blues d’automne», caractérisé par une légère diminution du bien-être et une fatigue accrue, dès la fin de l’été.
À cet égard, le professeur Preisig se montre rassurant: «Je ressens ce blues chez la plupart de mes patients, mais ce n’est rien de pathologique en soi, tempère-t-il. Je dirais même qu’il est normal de se sentir moins bien en automne, quand nos passions se pratiquent en extérieur et que notre quotidien change.»
Blues d’automne VS dépression saisonnière
Or, il est essentiel de distinguer le blues d’automne d’une réelle dépression saisonnière, plus intense et plus rare: «Cette dernière peut s’exprimer par de la tristesse, une perte d’intérêt ou de plaisir à faire les activités habituelles, un manque d’énergie, une difficulté à faire les choses, une tendance à s’isoler, un besoin excessif de sommeil, une augmentation de l’appétit, une difficulté de concentration et de l’irritabilité», liste Sophie Favre, psychologue et psychothérapeute à l’Unité humeur et anxiété des HUG.
Le professeur Preisig ajoute par ailleurs qu’une dépression saisonnière est définie par la présence d’un minimum de 4 ou 5 symptômes dépressifs, observés de manière constante durant au moins deux semaines. «Ceux-ci surviennent durant certaines périodes de l’année, le plus souvent en automne, pour disparaître au printemps ou en été, au minimum pendant deux années consécutive, poursuit le spécialiste. Ce phénomène reste assez rare, puisqu’il concerne 2 à 3% des troubles dépressifs.»
Si vous vous reconnaissez dans cette description, notre intervenant souligne l’importance de demander de l’aide professionnelle, comme pour toute autre forme de dépression.
Pourquoi se sent-on moins bien?
Bien que moins sérieux, les effets du blues d’automne peuvent tout de même peser sur nos journées. Fatigue en pleine journée, petites baisses de motivation… Pour expliquer ce phénomène annuel, le professeur Preisig prend l’exemple des plantes: «À l’instar des végétaux qui s’ouvrent et se ferment selon les rayons du soleil, notre corps est régi par un système complexe qui s’adapte à la lumière extérieure, explique-t-il. Il s’agit de notre rythme circadien, soit notre horloge biologique.»
Ces mots évoquent de nouveau les oiseaux, qui décalent tout simplement l’horaire de leur premier concert matinal: «Si on pouvait s’adapter à un cycle normal, comme les animaux ou les êtres humains d’époques antérieures, on se lèverait et on se coucherait en même temps que le soleil, déplore le psychologue FSP Julien Borloz. Or, dans nos sociétés modernes, on est contraints de se lever quand il fait encore nuit, pour aller travailler ou étudier, et notre cerveau ne comprend pas qu’il doit activer la machine. Cela peut désynchroniser ou dérégler plusieurs fonctions dans notre corps.»
Pour résumer ce mécanisme biologique complexe, le professeur Preisig souligne le rôle important joué par deux hormones: le cortisol et la mélatonine.
Envie de dormir en pleine journée
«Surnommé l’hormone du stress, le cortisol connaît un pic au moment du lever du jour, contribuant à augmenter notre rythme cardiaque et notre pression artérielle, afin d’aider l’organisme à se réveiller», précise notre expert. Le soir, en revanche, notre corps sécrète de la mélatonine, l’hormone du sommeil, «pour nous signaler qu’il est bientôt l’heure de se coucher.»
Sachant que la sécrétion de cette hormone est endiguée par la lumière, les journées obscures de l’hiver peuvent contribuer à dérégler cette horloge: «En restant à l’intérieur, dans un bureau par exemple, on ne s’expose qu’à environ 300 lux, alors que la lumière extérieure s’élève au moins à 10’000 lux - et même plus en hiver! Ceci peut donc favoriser la sécrétion de la mélatonine durant la journée, augmentant notre fatigue, et contribuer au développement d’une dépression.»
Que peut-on faire pour garder le moral?
Pas de panique, il existe plusieurs hacks destinés à faciliter les journées plus courtes. Il va toutefois falloir dégainer les chaussures de marche... et l'huile de foie de morue!
Utiliser la luminothérapie
En cas de dépression saisonnière ou de blues d’automne, les lampes de luminothérapie sont d'excellentes alliées. Le professeur Preisig rappelle qu’elles doivent dispenser 10’000 lux et que l’exposition quotidienne doit durer 30 minutes. «Ce traitement est pris en charge par les caisses maladie s’il est prescrit par un médecin», précise-t-il.
S’exposer à la lumière du soleil
«Une autre mesure de prévention très simple est de s’exposer un maximum à la lumière du jour, même en cas de mauvais temps, poursuit notre expert. Le fait de pratiquer une activité physique durant la journée aide également à stabiliser notre rythme circadien. Les chronobiologistes disent souvent que la meilleure façon de régler notre horloge biologique est de courir 30 minutes à midi dehors, lorsque la lumière du jour est la plus importante.»
Contrôler nos taux de vitamines D
Le psychologue Julien Borloz ajoute par ailleurs que les mois les plus sombres peuvent provoquer des carences en vitamine D: «Celle-ci est synthétisée grâce à la lumière du soleil, au contact de notre peau. En hiver, ce processus est entravé par nos couches de vêtements et le peu de temps passé à l’extérieur, augmentant les risques d’avoir des carences. Or, je recommande toujours d’aller voir son médecin avant de se tourner vers une supplémentation ou s’acheter une lampe de luminothérapie.»
Soigner notre hygiène de vie
Pour conclure, la psychologue et psychothérapeute Sophie Favre souligne l’importance d’éviter la sédentarité, de miser sur des activités ressourçantes comme la méditation, tout en veillant au contenu de nos assiettes, en y ajoutant des aliments riches en omégas-3, vitamines D et B. Parmi ces derniers, on trouve notamment les poissons gras, les noix, l’huile de lin, les champignons, les œufs, les épinards et… le chocolat noir!
Voilà, c’était le rayon de lumière pour conclure: si l’idée d’avaler du foie de morue vous fait hoqueter de dégoût, tournez-vous vers un carré de chocolat. C’est bon pour le moral.