Vous vous souvenez de cette scène dans le deuxième volet d'«Harry Potter», lorsque Ron Weasley reçoit une «Beuglante», une enveloppe rouge qui explose en hurlements lorsqu'il daigne enfin l'ouvrir? Bref, c'est une lettre qui l'engueule et lui inflige un moment de souffrance absolue... Heureusement, nos courriers de Moldus n'ont pas la capacité de nous crier dessus, mais il se peut que vous ressentiez une bouffée d'angoisse similaire dès qu'un document administratif a le malheur d'atterrir dans votre boîte aux lettres. Il se peut même que ce pic stress menace d'atteindre son apogée, en ce 15 mars 2024, date limite pour rendre sa déclaration d'impôts sur Vaud...
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Comme un nuage gris qui plane au-dessus de notre tête, la pile de feuilles reléguée dans un coin sombre de la cuisine, au fond d'un classeur chaotique ou parterre sous le bureau, nous lorgne de loin, l'air sournois. «Le stress lié à l’administratif est bien réel et peut, selon son intensité, générer des réactions d’anxiété à divers degrés, confirme Paul Jenny, psychologue et psychothérapeute FSP. La complexité et l’aspect froid et formel de la déclaration d’impôt, des correspondances avec l’administration fiscale peuvent renforcer le stress et l’anxiété vécue, d’autant que les conséquences d’une erreur ou d’un retard peuvent être fâcheuses et lourdes.»
Pourquoi ai-je si peur de la paperasse?
Bien que le traitement de ces documents constitue une véritable corvée pour la plupart d'entre nous, certaines personnes ressentent une vraie phobie administrative, caractérisée par une forte appréhension susceptible de les tétaniser.
«Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène, dont un manque de connaissances et un manque de savoir-faire au niveau du traitement ou du classement de certains papiers, notamment si on n'a jamais appris à remplir une déclaration d'impôts», note le psychologue FSP Julien Borloz. D'après notre intervenant, ce type de tâches peut exacerber la peur de l'échec, l'anxiété de performance, le manque de confiance en eux ou l'auto-critique de certains individus, qui se diront automatiquement «Je suis censé savoir faire ça, je n'ai pas le droit à l'erreur!». Dans certains cas, le phénomène peut aussi être associé à une tendance à la rébellion, une envie parfois inconsciente de résister à un système qui nous déplaît, ou encore un refus de grandir et d'assumer ses responsabilités: «Les personnes concernées par ce deuxième cas de figure peuvent avoir du mal à passer de l'enfance insouciante aux difficultés de l'âge adulte», précise le psychologue.
Or, cette anxiété ne concerne pas tout le monde, puisque de nombreux chanceux se lancent bravement dans leur courrier, le rythme cardiaque neutre et sans la moindre inquiétude: «Certaines personnes sont privilégiées pour remplir leur déclaration d'impôts, parce qu’elles maitrisent les codes pour comprendre ce système, parce qu’elles peuvent avoir recours à une fiduciaire ou parce qu’elles ont la capacité de comprendre et suivre ce qui est demandé facilement, poursuit Paul Jenny. Ce n’est de loin pas le cas de tout le monde. Les populations précarisées ou atteintes dans leur santé, moins instruites au système fiscal, sont, elles aussi, plus sujettes à voir augmenter leur degré d’anxiété et la tendance à procrastiner.»
Si le moment fatidique de la déclaration d'impôts vous évoque une véritable souffrance ou menace de gâcher votre journée, voici cinq idées pour gravir votre montagne de paperasse sans (trop) pâlir.
Éviter de s'auto-flageller
Puisque le processus s'apparente à un trigger considérable pour nos insécurités, le premier réflexe indispensable est de se montrer indulgent avec soi-même: «Je pense qu’il est tout à fait normal de ne pas savoir comment s’y prendre, rassure Paul Jenny. Ce qui peut être logique et cohérent pour une personne avertie ou baignant dans ce système ne l’est pas pour autant pour les autres.» Notre expert rappelle en effet que nous bénéficions généralement d'un accompagnement, lorsque nous réalisons l'apprentissage d'une nouvelle compétence: plus cet accompagnement est soutenu, présent, bienveillant, plus l’autonomie peut se développer. Dans le cas de la paperasse et des impôts, ce soutien n'est pas toujours garanti, selon l'éducation et le cursus scolaire.
«Cela ne signifie pas qu'il faut toujours bénéficier de l’aide de quelqu’un mais si celle-ci n’a pas été présente à un moment déterminant du développement de l’individu pour apporter le support nécessaire, il peut s’avérer très difficile d’y parvenir avec un sentiment de sécurité et d’efficacité personnelle», ajoute le psychothérapeute.
Se confronter à la paperasse
Les personnes concernées par l'anxiété le savent: on a beau fuir à toutes jambes, nos sources de peur courent plus vite que nous: «Si l’anxiété augmente, une réaction compensatoire va consister à éviter la source de l’inconfort, c'est-à-dire le fait de remplir sa déclaration d’impôt, explique Paul Jenny. Or, bien que ce mécanisme soulage temporairement le désagrément causé, il va renforcer l’anxiété. Plus on évite la source de l’inconfort, plus l’anxiété augmente, plus l’évitement se renforce et ainsi de suite... C’est un cercle vicieux qu’il faut pouvoir interrompre pour se désensibiliser petit-à-petit de ce qui génère la réaction anxieuse.»
Ainsi, il vaut mieux éviter de laisser la paperasse s'accumuler en espérant qu'elle disparaîtra d'elle-même si on l'ignore suffisamment longtemps. L'accumulation ne fera que décupler l'angoisse... et les heures de travail nécessaires à balayer la pile, lorsqu'elle tanguera. «Tout petit pas permettant de se confronter progressivement à cette réalité peut aider à se sortir du cercle vicieux qui renforce l’anxiété», encourage notre expert.
Décortiquer la tâche
Pour se confronter à la déclaration d'impôts ou tout autre document qu'on redoute d'ouvrir, Julien Borloz conseille d'y aller pas à pas. En tout premier lieu, le psychologue recommande de se focaliser sur l'anxiété elle-même, en essayant de l'apaiser avant même de se plonger dans nos papiers: «Un exercice de respiration, du yoga, de la musique... tout ce qui nous aide à réguler notre émotion sur le moment peut être efficace, constate-t-il. Ensuite, il peut être utile de décortiquer la tâche en plusieurs étapes, afin qu'elle paraisse moins insurmontable. Si cela ne fonctionne pas, il ne faut pas hésiter à demander de l'aide et à activer ses ressources pour éviter cette accumulation.»
Sur le plus long terme, notre intervenant conseille de réserver une petite plage horaire hebdomadaire consacrée aux tâches administratives et de se laisser suffisamment de temps pour mener chaque mission à bout: «Le fait d'être pressé ne fera qu'augmenter le stress associé à la paperasse», prévient-il.
Dédramatiser l'administratif
À l'instar de la fuite, le fait de laisser la tâche prendre une ampleur démesurée dans notre esprit ne fera qu'augmenter l'angoisse. Pour Paul Jenny, il est essentiel de dédramatiser l'administration fiscale en dépersonnalisant le phénomène: «Rappelons que, face à ce système, nous représentons un numéro au même titre que tout le monde, explique-t-il. Les personnes qui s'occupent de votre déclaration n'appliquent que des procédures basées sur des règles propres aux impôts. De même, les courriers sont des documents standards qui ne s'adressent pas à la personne que vous êtes, mais prennent en compte votre situation, la clarté de celle-ci pour l'administration, le besoin éventuel de compléments ou les conséquences liées au nom respect des règles.»
En d'autres termes, il peut être utile de se rappeler qu'on représente une goutte d'eau dans la mare et que ces documents, aussi impressionnants soient-ils, n'émettent aucun jugement personnel.
Demander de l'aide
Si l'impression de se noyer sous une pile de documents incompréhensibles devient trop suffocante, n'hésitez jamais à partager votre ressenti avec votre entourage, afin de recevoir du soutien: «Parler de sa déclaration est un petit pas, mais il peut déjà contribuer à dédramatiser, acquiesce Paul Jenny. Demander des conseils, s’adresser à une association, un office ou à un centre de santé offrant un support social peut aider. Il est donc important d’oser parler de son appréhension et ne pas hésiter à se confronter à l’administration fiscale pour poser des questions ou obtenir les renseignements nécessaires.»