Se sentir seul a, bien sûr, des conséquences sur le bien-être psychique: les états anxieux et la dépression, par exemple, sont très liés au sentiment de solitude. Mais, c’est désormais prouvé par la science: les conséquences se ressentent aussi sur le corps.
Risque accru de maladies cardiovasculaires, déclin cognitif, problèmes généraux liés à une mauvaise hygiène de vie comme l’obésité… L’une des explications réside dans le fait que les personnes souffrant de solitude ont tendance à ne pas se soigner, ou trop peu, et à adopter une mauvaise hygiène de vie, notamment alimentaire.
En effet, une nouvelle étude vient mettre en lumière un fait étonnant: le cerveau des femmes qui se sentent seules fonctionne différemment des autres lorsqu’il est exposé à des images de nourriture, et particulièrement d’aliments sucrés très caloriques. Des chercheuses de l’Université de Californie, à Los Angeles, ont publié d’édifiants résultats début avril 2024 et établi un lien clair entre l’isolement et les comportements alimentaires.
Solitude rime avec mauvaises habitudes alimentaires
Pour réaliser leur étude, ces spécialistes ont examiné 93 femmes. Elles leur ont demandé d’évaluer leur niveau de socialisation, mais aussi de répondre à des questions sur leurs habitudes alimentaires. Avant de mesurer leur masse grasse puis de se pencher sur les réactions de leur cerveau devant des images figurant de la nourriture, grâce à un examen IRM.
«Les participantes qui se disaient plus isolées socialement présentaient aussi un pourcentage de masse grasse plus élevé, un régime alimentaire moins qualitatif et des comportements alimentaires inadaptés comme des fringales ou l’incapacité à contrôler leur alimentation», concluent les autrices de l’étude. Mais ce sont surtout les résultats du scanner du cerveau qui interpellent.
Des «freins» qui fonctionnent mal
Lorsque celui-ci est exposé à des représentations d’aliments, il réagit automatiquement. Mais dans le cas des femmes qui ressentent de la solitude, le cerveau s’active plus dans la région responsable de l’attention, de la motivation et même de la rumination. Autrement dit, il se focalise beaucoup sur la nourriture, y devient très sensible… et cela provoque une envie irrépressible de manger, ce qu’on appelle communément une fringale.
Dans le même temps, une autre zone du cerveau, associée cette fois-ci au contrôle, réagit moins lorsqu’il s’agit de femmes isolées. «Pensez à cette région comme à des freins. S’ils fonctionnent bien, vous appuyez un peu dessus et ils vont vous empêcher de céder à votre fringale», explique Arpana Gupta, qui a dirigé l’étude, dans les colonnes du «Washington Post». En revanche, s’ils sont défectueux, il y a tous les risques que vous vous jetiez sur ce donut qui vous nargue.
Le sucre, pour réduire le chagrin
Car la nature de la nourriture compte aussi. Les chercheuses ont mené ces tests avec différents types d’images. Certaines ne représentaient pas d’aliments, afin de servir de témoin. D’autres des aliments sucrés ou salés très caloriques, comme des glaces et des gâteaux au chocolat, ou des burgers et des frites. D’autres enfin des aliments sucrés ou salés, mais sains, comme des fruits et de la salade.
Et c’est la nourriture sucrée très calorique qui déclenche les réactions cérébrales les plus marquées. Pour Arpana Gupta, ce n’est pas un hasard: le sucre stimule les zones du cerveau associées au plaisir et pourrait donc aider à «réduire la peine ou le chagrin associé au fait d’être seule». La chercheuse encourage désormais à mener une étude similaire sur un public masculin, afin de déterminer s’il existe des spécificités liées au sexe des individus.
Un problème de santé publique
Ce qui est sûr, c’est que ces résultats viennent battre en brèche l’idée très répandue que les personnes qui s’alimentent mal n’ont qu’à vouloir changer d’habitudes alimentaires pour le faire. En réalité, les réactions de notre cerveau nous échappent et une prise en compte globale de la situation s’impose pour traiter les causes de maladie comme l’obésité.
Aujourd’hui, la solitude touche 42,3% de la population suisse et de plus en plus de spécialistes appellent à considérer cet isolement social comme un véritable problème de santé publique. Au Royaume-Uni ou au Japon, des ministères dédiés ont même été créés pour tenter d’endiguer ce fléau.