Adieu «small talk»
La «coupe silencieuse» est en vogue dans les salons de coiffure

De plus en plus de salons suisses proposent désormais des «silent cuts», soit des coupes de cheveux réalisées en silence. Blick a testé cette expérience méditative.
Publié: 10.10.2023 à 18:39 heures
Très populaire au Royaume-Uni et en Allemagne, la silent cut peut s'apparenter à une expérience méditative.
Photo: Canva
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Sara Belgeri

Vacances, hobbies, travail... ce sont généralement les sujets que j'aborde lors d'une visite chez le coiffeur. Des thèmes typiques du «small talk». Mais pas aujourd'hui. Je suis assise dans un fauteuil très confortable - et je me tais. Même la responsable du salon, Esra Kaymak, qui me coupe les cheveux, ne pipe mot. Seuls le bruit des ciseaux et les trams qui passent à l'extérieur brisent le silence.

Depuis le mois de juin 2023, le salon Drycut de la Limmatplatz à Zurich, tout comme à Berne et Winterthur, propose ce qu'on appelle des silent cuts, soit des coupes silencieuses. Il s'agit de rendez-vous où l'habituel papotage est poliment banni. Sur le site web du salon, on peut même cocher l'option silencieuse, afin que les coiffeurs et coiffeuses soient avertis: «Après avoir été conseillé et avoir discuté de la coiffure, je souhaite profiter d'une coupe en toute tranquillité, en renonçant au small talk», peut-on lire, avant de cocher la case.

L'offre est bien accueillie, affirme le directeur du salon, Stefan Keller: «Nous ne voulons pas créer de distance entre les gens, mais répondre aux besoins de nos clients». Environ une personne sur dix réserve déjà une coupe de cheveux silencieuse. 

Un concept répandu à l'étranger

Si la tendance est relativement nouvelle en Suisse, elle a déjà rassemblé des fans au Royaume-Uni, depuis que les salons Bauhaus de Cardiff ont introduit le concept de la quiet chair, la chaise silencieuse, en 2015. Du côté de l'Allemagne, l'offre est tout aussi populaire. Les salons berlinois ont d'ailleurs été les premiers à l'adopter, mais on trouve désormais dans tout le pays des coiffeurs qui misent sur ce concept. 

Lorsque je vois l'offre, j'hésite à renoncer à la coupe silencieuse par politesse - bien que j'en aie secrètement envie. Une fois ma coiffure terminée, Esra Kaymak me raconte qu'il y a bien des clients qui ne choisissent pas la chaise silencieuse, mais qui n'hésitent pas à dégainer leur téléphone portable pendant le rendez-vous, empêchant une conversation d'éclore: «Pour moi, c'est le signe qu'ils ou elles n'ont pas envie de bavarder», explique la coiffeuse. C'est donc à elle de percevoir de tels signaux, de remarquer les yeux fermés de ses clients ou d'interpréter leurs réponses monosyllabiques.

Des discussions intimes

Cependant, le contraire arrive aussi: il se peut que les clients ayant opté pour la coupe silencieuse se mettent tout de même à bavarder pendant le rendez-vous.

Parler ne fait-il pas partie de son profil professionnel? Pas forcément, estime Esra Kaymak. «Mais bien sûr, on ne peut pas être complètement introverti!» Ce sont surtout les habitués qui apprécient de discuter avec elle, sachant que les sujets abordés sont souvent plutôt intimes, abordant les relations amoureuses ou les enfants: «Ils disent alors que la silent cut ne serait pas du tout pour eux», remarque la coiffeuse.

Notons également que les dix pour cent de personnes favorables à ce concept sont très diversifiées, comprenant des étudiants comme des hommes d'affaires. 

Le «small talk» est dépassé

Digital detox, slow life: on constate une tendance générale vers une existence plus calme, plus simple et plus lente. Pour Juliane Schröter, linguiste à l'Université de Genève, le phénomène de la silent cut s'inscrit parfaitement dans cette tendance. Elle suppose qu'aujourd'hui, c'est essentiellement à cause des téléphones portables que nous parlons moins de la pluie et du beau temps. Or, davantage que le small talk, nous pratiquons désormais le small write: «Au lieu de parler, nous nous écrivons souvent des messages pour entretenir le contact», ajoute l'experte. 

La mauvaise réputation du small talk n'est pourtant pas fondée: «Il semble insignifiant, mais il n'est pas sans but», poursuit la linguiste. En effet, bavarder sans engagement permet de faire la connaissance de nouvelles personnes ou d'entretenir des relations informelles, comme celle qui nous lie à la personne qui nous coupe les cheveux!

Une expérience méditative

Tout comme Esra Kaymak, la coiffeuse professionnelle Bernadette Ottiger propose des coupes silencieuses dans son salon Beni's Barber à Ruswil, depuis son ouverture en 2019. «Je sais que beaucoup de personnes n'aiment pas le small talk, explique-t-elle. Les parents débordés ou les personnes travaillant beaucoup vivent des quotidiens très remplis et ont fréquemment recours à cette option: «Elles sont heureuses d'avoir du temps pour elles et de pouvoir se taire sans mauvaise conscience», analyse notre intervenante.

Si les fameuses silent cuts sont réservées de temps en temps dans son établissement, Bernadette Ottiger ne peut pas chiffrer la fréquence. Elle estime toutefois que la tendance plait davantage aux hommes et aux personnes de moins de 50 ans. Bien que l'offre ne soit que peu utilisée pour le moment, elle a reçu beaucoup de réactions positives.

Par ailleurs, le fait de couper les cheveux en silence bénéficie également aux coiffeuses et coiffeurs eux-mêmes: «Parler toute la journée peut être fatigant», note-t-elle, avant d'ajouter que les pauses entre les conversations ne sont plus perçues comme désagréables ou gênantes, grâce à cette offre: pour elle, la coupe silencieuse ressemble un peu à de la méditation. Bernadette Ottiger peut ainsi se concentrer pleinement sur la coupe, sans devoir penser à des sujets de conversation.

Or, les professionnelles que j'ai contactées ne souhaitent pas que leur journée entière se dérpule en silence! «J'aime papoter, conclut Esra Kaymak. Surtout pour faire connaissance avec de nouveaux clients.» Elle essaie toutefois d'éviter les sujets de la politique et la religion: «Il faut être prudent à ce sujet».

Lors de mon rendez-vous, il n'est question ni de politique, ni de religion, ni de futilités. J'apprécie de faire le vide dans ma tête et de me laisser aller à mes pensées. Mais je ne veux pas renoncer complètement au small talk. Selon mon humeur, je pourrais opter pour la silent cut - ou pas. Finalement, c'est parfois agréable de parler de ses vacances, de ses hobbies ou de son travail! 

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