C’était bien plus qu’un arbre. Depuis son apparition dans le mythique «Robin Hood» de Kevin Costner, cet érable sycomore planté dans le parc national de Northumberland, dans le nord-est de l’Angleterre, était devenu une véritable petite star locale. Au crépuscule, sa silhouette familière fendait l’horizon strié de rose et d’orange. La population le connaissait, l’aimait, comptait sur sa présence constante et son invincible robustesse.
On imagine donc sans peine la vague d’émotion provoquée par l’annonce de sa destruction, dénoncée comme un «acte de vandalisme» par les autorités locales, le 28 septembre. Ce pilier naturel était en outre situé tout près de l’historique mur d’Hadrien, bâti en 127 après J.-C. pour protéger la région d’attaques barbares.
Ainsi que l’annonçait la BBC, un homme sexagénaire et un adolescent ont été arrêtés par la police, puis libérés sous caution, alors que l’enquête se poursuit. «Nous nous sommes réveillés choqués et tristes après l’annonce, a partagé une famille locale auprès du média britannique. L’idée que nous faisions partie des dernières personnes à avoir admiré sa beauté est très étrange».
Un remède face à l’écoanxiété
Pour Grégory Dessart, Dr. en philosophie, psychologue FSP et gérant de la consultation romande Walk2Talk, le vide laissé par l’arbre abattu est compréhensible: «Cette réaction profonde peut s’expliquer par la mise à mal de notre rapport aux artéfacts culturels et historiques, venant implicitement activer une angoisse de mort, analyse-t-il. Cela m’évoque notamment l’émotion suscitée par l’incendie de Notre Dame de Paris, mais dans le cas de cet érable, un être vivant emblématique combine l’attaque simultanée de deux propriétés: l’Histoire et la nature.»
En effet, au vu de l’écoanxiété qui imprègne la société actuelle, cet événement atteint forcément plusieurs de nos cordes sensibles: «Au vu des mises en garde climatiques et des incertitudes qui planent sur l'avenir de notre planète, il est tout à fait possible que l’abattage de cet arbre emblématique ait fait ressentir, au plus profond des psychés individuelles, une résonance avec des angoisses intenses qui s’inscrivent dans une nouvelle conception des rapports entre l’humain et son environnement naturel», poursuit le spécialiste.
Grégory Dessart observe par ailleurs la résurgence d’une forme de néo-paganisme, parfois nommé dark green spirituality ou écologie profonde: «Ce nouveau rapport à la nature se distingue de l’écologie classique centrée sur les seules actions pro-environnementales et s’ancre dans un lien psychologique à la nature, précise-t-il. On considère ainsi qu’elle fait partie de nous, que nous faisons partie d’elle, et qu’il ne s’agissait pas “juste” d’un arbre.»
Centraux dans l’imaginaire commun
Thierry de Preux, fondateur et président de la fondation Homme et Nature, rappelle également que les arbres et les humains sont liés depuis la nuit des temps: «La forêt était notre habitat naturel et les arbres ont toujours contribué à notre vie et à notre survie en nous offrant leurs ressources. En plus de ces dernières, les arbres nous rendent de nombreux services au niveau systémique: ils participent au cycle de l’eau et à la biodiversité, améliorent la qualité de l’air, rafraîchissent la température lors des canicules... »
Il suffit de réfléchir aux arbres stars de la culture populaire, dont la grand-mère Feuillage de Pocahontas, le baobab du singe Rafiki dans «Le Roi Lion» ou encore les Ents, les arbres anthropomorphisés du «Seigneur des Anneaux»: ils ont toujours fait partie de nos contes et légendes, incarnant une entité sage et réconfortante.
«Dans l’imaginaire collectif, l’arbre est un symbole de résilience et d’ancrage, car il est solidement enraciné, sa cime haute dans le ciel, ajoute Thierry de Preux. Prendre exemple sur lui nous incite à nous tenir droit et à prendre de la hauteur.»
Nous avons besoin de la nature
Et ils ne sont pas centraux pour rien! En plus de participer à notre survie, les arbres contribuent largement à notre santé mentale. «Il y a quelque chose de très aliénant dans le contexte urbain. Des études ont pu démontrer les bienfaits d’une heure passée dans un parc, même en pleine ville, reprend Grégory Dessart. En proposant des consultations en plein air, dans le cadre de Walk2Talk, on constate que cette pratique possède un côté apaisant: dans la nature, on peut se relier à une forme d’intuition innée.»
De nombreuses études soulignent en effet l’impact positif des arbres sur notre bien-être général: «Beaucoup de scientifiques se sont intéressés à ces questions, notamment les Japonais qui ont étudié les bienfaits de la forêt dans le cadre de pratiques telles que les bains de forêt, ou shinrin yoku, rappelle Thierry de Preux. Au Japon, il existe même des forêts thérapeutiques!»
Si d’autres recherches sont en cours, on peut citer l’étude suisse BEFIT, publiée en 2022 par Unisanté, qui démontre les bienfaits des bains de forêt sur les maladies cardiovasculaires et l’hypertension.
«S’émerveiller des arbres renforce notre relation avec eux et nous permet de prendre du recul sur nos tracas quotidien, poursuit Thierry de Preux. Observer les arbres de près ou de loin, en toute saison et à tout moment, par exemple sur le chemin du travail ou de l’école, est la manière la plus simple de nourrir le lien qui nous unit à eux.»
Afin de leur offrir une place privilégiée dans notre quotidien, l’équipe de la fondation Homme et Nature propose ces cinq pratiques dédiées aux amoureux des arbres:
- Observer les couleurs flamboyantes en automne
- Toucher l’écorce ou la mousse sur leur tronc
- Écouter le vent qui siffle dans les branches
- Sentir les odeurs de la forêt et des aiguilles de résineux
- Goûter les noix, savourer des châtaignes ou préparer une tisane à base de feuilles tilleul
2 événements pour les amis des arbres
Pour aller plus loin et puiser dans la sagesse du monde végétal, la consultation Walk2Talk organise des journées thérapeutiques de groupe en pleine nature, dans les Préalpes fribourgeoises. L’événement aura lieu le weekend du 28 au 29 octobre. Pour les inscriptions, c’est par ici.
La fondation Homme et Nature organise régulièrement des Arbr’apéros, animés par la guide de bains de forêt Nathalie Guiffault, afin de renforcer le lien unissant les humains et les arbres. L’édition du 7 octobre 2023 sera justement consacré à un érable sycomore, planté dans le Parc du Désert à Lausanne. Plus d’informations sont disponibles sur le site de la fondation.