«Faire mon lit, m'occuper de ma peau, ranger mon bureau, préparer un café, écrire dans mon journal...» De prime abord, cette liste ressemble follement à l'une de ces morning routines que vénérait la Toile, il y a encore quelques mois. Mais si vous avez l'habitude de scroller sur les réseaux, vous avez sans doute reconnu l'ébauche d'un menu de dopamine.
Avec ses 5,8 millions d'occurrences sur TikTok, le concept a été revisité par des milliers de créateurs de contenu, qui partagent une flopée de liste d'activités bienfaisantes, souvent réalisées à différents moments de la journée. Mais le but est bien différent que celui d'une simple routine du matin ou du soir!
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D'où vient le concept?
Bien que TikTok l'ait identifiée et couronnée il y a quelques mois, l'appellation existe depuis plusieurs années. Dans une vidéo publiée en 2020, la youtubeuse Jessica McCabe décrétait que les personnes concernées par le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) gagneraient à combler leur «déficit en dopamine» par une série d'activités saines et apaisantes. Le but? Éviter le doomscrolling, ou l'habitude de se noyer dans le dédale parfois sombre des réseaux sociaux, en quête de la stimulation dont elles ont besoin.
En d'autres termes, plutôt que de passer la matinée sur Instagram, l'idée est de piocher parmi un «menu» d'occupations destinées à déraciner cette habitude et récupérer une meilleure capacité attentionnelle. Certains influenceurs déploient d'ailleurs des trésors de créativité pour mettre en scène leur menu, agrémenté de dessins, d'auto-collants et de calligraphie.
Mais ce n'est pas si simple...
Malgré son côté esthétique, le concept n'a été validé par aucune étude scientifique, sans oublier que l'hypothèse du manque de dopamine chez les personnes atteintes de TDAH est très complexe: une recherche menée en 2013 par l'Université Cambridge suggérait que ce trouble venait plutôt d'une différence structurale dans la matière grise. En 2019, une autre étude soulignait le rôle de la noradrénaline, en plus de la dopamine, dans ce phénomène.
Pour rappel, la dopamine est un neuromodulateur agissant dans les mécanismes de l'apprentissage, de la motivation et de la récompense: «Il s'agit d'une substance chimique produite par des cellules présentes dans le cerveau et dont le rôle le mieux établi est de faciliter l’apprentissage, détaillait Christian Lüscher, professeur ordinaire en neurosciences fondamentales à la faculté de Médecine de l'Unige, dans notre article consacré aux hormones du bonheur.
Pour résumer, la dopamine participe à notre survie en nous motivant à répéter des comportements agréables. Le problème est qu'en scrollant sur les réseaux sociaux, nous vivons des «pics» de dopamine addictifs, amenant des récompenses instantanées et pouvant mener à un surapprentissage épuisant.
Le spécialiste précisait en outre que la science n'a jamais démontré la possibilité d'agir soi-même sur ses taux naturels de dopamine, «à moins de prendre des médicaments comme la ritaline ou une drogue addictive.» Des études ont toutefois souligné que certaines activités (comme la méditation) peuvent favoriser le mécanisme et faciliter l'apprentissage.
Une bonne idée pour «décrocher» des écrans
Bref, l'idée d'un impact sur la dopamine des personnes concernées par les TDAH est complexe et ne peut sans doute pas se résumer à un «menu de hobbies». Par contre, celle de diminuer le besoin compulsif de stimulation peut faire sens, surtout lorsqu'il s'agit de troquer le scrolling contre une balade à l'extérieur, une demi-heure de journaling ou la préparation minutieuse d'une tasse de matcha, puisqu'il s'agit d'activités lentes, sans gratification immédiate:
«Quand nous cédons à des comportements hautement stimulants, on risque de ressentir un contrecoup après la gratification initiale, souligne la psychologue clinicienne Ellen Littman dans le 'Daily Mail'. Si ces occupations peuvent apporter un pic de dopamine aux cerveaux qui en manquent, les niveaux reviennent ensuite à la normale, avec une diminution immédiate de la motivation.»
Selon l'intervenante du média britannique, le menu de dopamine est donc surtout destiné à réduire notre envie automatique d'avoir recours à ces activités hyper-stimulantes, afin d'éviter les montagnes russes et d'investir dans des occupations plus lentes, qui améliorent l'humeur.
Et cette résolution peut s'avérer très bénéfique, ainsi que le confirmait Julie Leros-Fuchs, psychologue spécialisée en neuropsychologue FSP, dans notre article consacré à la capacité attentionnelle: «Le côté addictif et chronophage de ces habitudes numériques tend à nous couper de la réalité et peut engendrer des troubles du sommeil, en perturbant nos rythmes naturels, déplore Julie Leros-Fuchs. Cette sur-stimulation constante du cerveau ne favorise absolument pas le repos et peut provoquer de l'anxiété, un épuisement ou même des états dépressifs.»
Dans cette optique, il ne vous reste donc plus qu'à vous inspirer des millions de vidéos TikTok disponibles, afin de vous rebeller contre le geste moderne du siècle: scroller!