On dit que la lagune de Venise compte 120 îles. Les plus connues des touristes sont Torcello, Murano et Burano. Si vous flânez à Burano du côté de l’embarcadère, vous pourrez emprunter un pont en bois pour vous rendre sur l’île de Mazzorbo et plonger dans un tout autre univers.
À lire aussi
Sur cette île idyllique poussent les légumes et, depuis quelques années à nouveau, la vigne. Le producteur de prosecco Gianluca Bisol s’est lancé dans un projet un peu fou en 2002. La ville de Venise lui a cédé un hectare de terres pour y planter des vignes de la variété dorona di venezia. Le domaine Venissa était né.
Cultiver le vin dans la lagune après la crue du siècle
C’est Matteo, le fils de Gianluca, qui dirige le domaine Venissa. Par une chaude journée de juillet, il nous conduit à travers les rangées de vigne: «Autrefois, les habitants de l’île vivaient de ce que la lagune leur apportait, car les marchés de Venise étaient à trois heures de rame. Même le vin était produit ici. Le raisin de dorona était adapté au sol salin.»
Mais en 1966, Mazzorbo connut la crue du siècle. De nombreux pieds de vigne furent noyés dans l’eau salée et ce fut la fin de la culture. Jusqu’à ce que, dans les années 2000, Gianluca Bisol découvre de vieux ceps dans un jardin de l’île de Torcello. Il n’en fallait pas plus pour attiser sa curiosité.
Des chercheurs firent le voyage et identifièrent le cépage comme étant le dorona di venezia, un cépage tombé dans l’oubli. De jeunes plants ont alors été cultivés à partir du bois de taille des vieux ceps et installés sur Mazzorbo en 2006. Cultiver la vigne sur l’île n’est pas une chose facile. Les vignes ne sont pas irriguées. Les hivers sans eau et les étés secs et chauds favorisent la salinisation des sols. Pour preuve, Matteo exhibe des plantes arrachées du sol: la salicorne prolifère juste à côté des vignes. Même pour le dorona, la forte concentration en sel commence à être problématique.
Un vin de méditation
Le premier vin de Venissa a été produit en 2010. Matteo, qui supervise également la vinification en sa qualité d’œnologue, en a conscience: «Le dorona est un cépage neutre. Le terroir et l’élevage sont déterminants.» Cette variété est vinifiée comme un vin rouge et la durée de cuvaison peut atteindre 30 jours. Le vin est ensuite élevé pendant quatre ans en cuve de ciment.
Il a un peu le goût du xérès avec des notes d’oxydation, de pomme mûre et de noix. En bouche, le vin de Venissa est complexe, avec une acidité tendue et une palette aromatique délicate d’amande salée et de citron. C’est un vin méditatif, qui a besoin de temps pour s’ouvrir dans le verre.
Le Venusa est arrivé en 2017. C’est un vin sec, nettement plus frais, qui provient de vignes situées en altitude. Il macère sur les pellicules pendant une semaine avant d’être élevé 24 mois en cuve de ciment.
Un rouge issu de raisins Swarovski
Le domaine Venissa propose également des vins rouges. Les raisins de merlot et de cabernet sauvignon utilisés pour le Venusa rouge proviennent de l’île privée de Santa Cristina, où la famille Swarovski, spécialisée dans le cristal, s’est aménagé un refuge de luxe pour elle-même et des vacanciers fortunés. Les vignes qui s’y trouvent ont 60 ans. Les inondations de 1966 les ont épargnées, car Santa Cristina est plus en hauteur que Mazzorbo.
Pour déguster les appellations Venissa et Venusa, le mieux est encore de visiter l’île. Le trajet depuis Venise dure 30 minutes en vaporetto. L’osteria près des vignes et le Ristorante Venissa, un restaurant étoilé situé sur la jetée, sont l’endroit parfait pour s’accorder une pause loin de l’agitation vénitienne durant la haute saison.