Malgré la pluie battante, le ciel gris et les cinq petits degrés affichés au thermomètre, ce vendredi après-midi dans le Jura français a quelque chose de magique. La visite que nous nous apprêtons à faire au légendaire domaine Macle dans le village pittoresque de Château-Chalon n’y est certainement pas étrangère. Le propriétaire-vigneron Laurent Macle accorde un entretien exclusif à Blick et nous ouvre les portes de ses caves historiques.
Laurent Macle représente la cinquième génération à la tête du domaine et exploite quelque dix hectares de vignes, dont sept encépagés en chardonnay et le reste en savagnin. On trouve bien quelques pieds de vigne dans les variétés trousseau et poulsard, mais les vins qu’ils produisent ne sont destinés qu’à l’usage personnel du vigneron. La spécialité la plus prestigieuse du domaine Macle est le «vin jaune». Il s’agit d’un vin blanc issu du cépage savagnin, élevé pendant plusieurs années sous un voile de levures qui lui confère une complexité caractéristique.
Le vin jaune, fleuron du domaine
Laurent Macle me fait descendre dans une enfilade de caves labyrinthique, où de vieux tonneaux de vin sont empilés les uns sur les autres à perte de vue. «Voici notre fût le plus ancien: il a 150 ans et il est toujours en usage.» Bon nombre de fûts sont dotés de petits robinets qui permettent de prélever des échantillons. La raison tient au fait que les fûts contenant les vins sélectionnés pour le vin jaune ne doivent pas être ouverts pendant plusieurs années ni complétés.
Chez Macle, les vins d’appellation Château-Chalon restent au moins sept ans sous voile dans les fûts fermés. Ce voile de levures se forme généralement au cours du premier été qui suit la fermentation, lorsque la température augmente légèrement dans la cave avec le beau temps. En hiver, le thermomètre retombe à environ huit degrés. Ces variations de température jouent un rôle clé dans la formation et la préservation du voile de levures à la surface du vin dans les fûts de bois.
De plus, comme me l’explique Laurent Macle, cette méthode de vinification entraîne l’évaporation d’une partie du vin à travers les pores du fût, d’environ six pour cent chaque année. «Au bout de sept ans, il ne reste plus qu’environ 60 centilitres par rapport au litre de vin initial. C’est la raison pour laquelle le vin jaune est conditionné dans des clavelins, ces bouteilles traditionnelles de 62 centilitres.»
Un potentiel de garde phénoménal
Le domaine Macle, certifié bio depuis 2015, met une partie de ses vins en bouteilles un peu plus tôt, à l’exemple du Côtes du Jura Sous Voile, élevé sous les levures pendant deux ans environ. Le millésime 2018, qui vient d’être commercialisé, se présente sous les traits d’un chardonnay au tempérament exubérant, dévoilant des notes de pomme séchée, de gingembre, de zeste de citron, de croûte de pain et d’amande. Le Côtes du Jura Tradition 2018, qui intègre environ 20 pour cent de savagnin, offre lui aussi un profil éblouissant. «Ces deux vins s’accordent à merveille avec les coquilles Saint-Jacques», confie Laurent Macle.
Il nous sert ensuite les deux millésimes de Château-Chalon les plus récents. Le 2015 est une prouesse d’une grande complexité, issu d’une année plus chaude et plus ensoleillée. Les herbes des Alpes séchées se mêlent aux notes florales, mais aussi à celles de croûte de pain, de gingembre et d’une pointe de curry. Révélant une pression marquée en bouche et une finale qui semble n’en plus finir, ce 2015 devrait procurer un plaisir de dégustation au summum pendant au moins un demi-siècle. Un peu plus frais et un peu moins large d’épaules, le 2016 nous a également séduits sur toute la ligne. Dans un cas comme dans l’autre, la production n’a pas dépassé 4000 bouteilles.
Nous sommes ensuite passés à la dégustation de millésimes anciens, apportant la preuve que les vins de Macle élevés sous voile pouvaient se garder très longtemps. Le Château-chalon de 1977 possède un merveilleux nez de fleurs séchées, de pomme, de paille, de truffe blanche et de noisette. Le Côtes du Jura 1983 est encore plus enchanteur. C’est un véritable feu d’artifice qui s’échappe du verre: poivre blanc, fleurs séchées, zeste de citron, épices d’Orient et fines herbes, plus un soupçon d’écorce de mandarine. Le vin virevolte sur la langue avec élégance et finesse avant de conclure par une fin de bouche étourdissante.
Perspectives d’avenir
Il serait beaucoup trop ennuyeux pour Laurent Macle de se reposer sur les lauriers du passé. Aussi s’efforce-t-il chaque année de vinifier séparément un vin naturel sans soufre ajouté. «Par curiosité, mais aussi par goût, puisque j’aime beaucoup boire des vins naturels, notamment du Beaujolais», explique-t-il. Il fait également des essais avec des amphores. L’une d’entre elles contient du savagnin issu des années de naissance de ses trois filles, Carmen (2000), Athénaïs (2006) et Jeanne (2010).
L’aînée, Carmen, a effectué récemment un stage de vin en Nouvelle-Zélande et aura bientôt fini ses études d’œnologie au lycée viticole de Beaune. Elle viendra alors épauler son père sur le domaine familial et aura l’occasion de mettre en œuvre ses propres idées. On le voit, le renouvellement est assuré. Et après une année 2021 plombée par le gel, avec un taux de perte d’environ 70 pour cent, la famille Macle se réjouit de valoriser deux vendanges de très haute volée en 2022 et 2023.