Afro-véganisme? En plus de filer de l'urticaire aux vieux réacs qui découvrent ce mot-valise, ce mouvement culinaire qui va bien au-delà du régime alimentaire sera au centre de «Nos chemins croisés», rendez-vous organisé les 1er et 2 octobre au restaurant Comac à Lausanne. La Centrafricaine Clarence Kopogo, cheffe du restaurant tendance Table Nali à Paris, animera un atelier culinaire et cuisinera un apéro dinatoire lors de cet événement réunissant chefs, artisans, rappeurs et DJs afro-descendants.
L'afro-véganisme est un concept relativement inconnu en Suisse. Il bourgeonne depuis quelques années en France et au Royaume-Uni, mais c'est surtout aux Etats-Unis qu'il rayonne depuis des décennies. Un pays où beaucoup d'Afro-américains, notamment des célébrités telles que Venus et Serena Williams, Stevie Wonder ou encore le quarterback Colin Kaepernick affichent leur préférence alimentaire.
Il aurait même existé depuis des siècles, mais serait resté indéfini, faute de nom, avance pour Radio Canada Sylvain Charlebois , directeur du laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire à l’Université Dalhousie à Halifax. De quoi suggérer qu'avec son véganisme moderne facturé au tarif Tibits, le riche Blanc bobo n'a finalement rien inventé.
Au cœur de l'afro-véganisme, il y a bien entendu… le véganisme, autrement-dit le refus de toute forme d'exploitation animale: pas de viande, pas de poisson ni de produits laitiers, pas plus que du cuir ou des produits cosmétiques testés sur les animaux, etc. Mais avec l'afro, cela va plus loin, «c'est quelque chose qui nous relie à des traditions ancestrales», éclaire Marie-Belle Kambila, l'une des organisatrices de Nos Chemins Croisés.
D'après cette femme végane originaire de RDC les traditions culinaires dans bon nombre de régions du continent africain étaient autrefois basées sur les céréales et les autres végétaux. Ce n'est qu'après l'arrivée des esclavagistes et des colons que la consommation de viande s'est instaurée et a fini par être considérée comme un symbole de richesse et de pouvoir. «Aujourd'hui en Afrique, les gens cherchent à s'alimenter à l'occidentale, avec toujours plus de viande et de produits transformés», illustre Marie-Belle Kambila.
Dans ce contexte, l'afro-véganisme peut être vu comme un retour aux sources culinaires, une tendance qui fait la part belle aux céréales, fruits et légumes poussant dans les sols de l'Afrique et des Caraïbes. L'atelier du 1er octobre porte d'ailleurs sur les céréales et farines africaines. Un choix qui s'inscrit «dans le contexte géopolitique actuel», glisse l'organisatrice. Avec le conflit ukrainien, nombre de pays africains n'ayant pas reçu suffisamment de blé en reviennent petit à petit à des farines autochtones de sorgho, de manioc ou encore de plantains.
L'afro-végano… féminisme?
À la fois mode de vie et courant de pensée, l'afro-véganisme est principalement porté par des femmes: blogueuses, influenceuses et cheffes de cuisine. «Il y a une invisibilisation des femmes afro-descendantes dans la société, et l'afro-véganisme constitue pour elles une manière de s'exprimer», confirme Marie-Belle Kambila. De quoi rapprocher ce mouvement de certaines formes de féminismes, ce qui n'a finalement rien de très surprenant. «Il existe une sensibilité particulière des femmes à ces sujets liés à la santé, à l'environnement ou au bien-être animal», estime-t-elle. Sans oublier que revenir aux ingrédients traditionnels des terroirs africains et caribéens, c'est aussi s'intéresser aux mères, grands-mères et autres tantes, toutes ces gardiennes des recettes, des coutumes et des savoir-faire ancestraux.
Réduire l'afro-véganisme à un régime alimentaire, ce serait cependant ignorer l'éléphant dans la pièce, c'est-à-dire sa forte composante philosophique, voire politique. Courant de pensée protéiforme, l'afro-véganisme voit certains établir des parallèles entre l'exploitation animale et celle des Noirs au temps de l'esclavage, ou bien avec le racisme actuel. «Tout le monde n'est pas forcément d'accord avec cela, il y a de nombreux mouvements», précise toutefois Marie-Belle Kambila.
L'instigatrice tient cependant à préciser: l'afro-véganisme est un mouvement qui s'adresse à tout le monde, et c'est le cas pour le rendez-vous qu'elle organise. «Ce n'est pas parce qu'il y a le préfixe afro que c'est réservé aux afro-descendants! C'est l'occasion de goûter des plats, d'échanger, de partager. L'afro-véganisme suscite des réflexions globales à avoir en commun.»
Nos Chemins Croisés
Samedi 1er (atelier, apéro, DJs) et dimanche 2 octobre (brunch)
Restaurant Comac, rue des Côtes-de-Montbenon 26 à Lausanne
Inscriptions