À ma droite, une carotte tout à fait normale, tubercule orange avec sa petite touffe verte sur le dessus. Teneur en sucre: 5 grammes. À ma gauche un bâtonnet de glace vanille enrobée d'une coque de chocolat de type Magnum. Teneur en sucre…4 grammes. Cela peut paraître incroyable, mais c'est pourtant le tour de force qu'ont accompli un entrepreneur genevois et un nutritionniste américain: créer des glaces ridiculement basses en sucre (un Magnum Classic en contient 23 grammes soit 4 à 5 fois plus). Ha oui, autre précision, elles sont 100% végétales. On pourrait s'attendre à un accident industriel, sauf que ces glaces depuis peu vendues en ligne et dans les supermarchés Migros… sont plutôt bonnes.
Tout a commencé au moment du dessert, après un repas pris quelque part à Los Angeles en 2016. Français établi de longue date en Suisse, Sylvain Perret et le nutritionniste Chris Clark viennent de se rencontrer. Ils s'accordent sur une petite glace pas trop lourde. On leur propose une crème glacée certes pauvre en calories, mais bourrée de sucre et surtout «pas très bonne», se remémore Sylvain Perret.
Une ampoule s'allume au-dessus de leurs têtes. «On s'est dit tiens, il y a peut-être quelque chose à faire», poursuit l'entrepreneur chevronné qui a déjà participé au lancement de plusieurs startups, dont la compagnie aérienne suisse Flybaboo. Depuis, les deux hommes complètement étrangers au marché de la crème glacée se sont mis en tête de fabriquer des glaces selon leur propre vision: véganes et surtout les moins sucrées possibles.
Une sorbetière dans le sac à dos
«Les glaces n'ont pas changé depuis 80 ans. Elles sont certes bonnes, mais aussi bourrées de sucre. Or on voit aujourd'hui que le sucre est présent en excès dans la plupart des aliments industriels, et que les laits d'origine animale ont un impact environnemental important. On veut donc proposer une alternative tout aussi bonne, mais moins sucrée et plus durable pour la planète», résume Sylvain Perret. Le nom retenu est Enjoy Trill, contraction en anglais «true et real [vrai et réel, ndlr], pour insister sur l'authenticité de nos produits».
Et comment fabrique-t-on une glace pareille? Avec une sorbetière, naturellement. Leur projet en tête, Sylvain Perret et Chris Clark commencent par jouer aux apprentis glaciers, font des essais en s'attaquant à la vanille et au chocolat. La base. Ils acquièrent une petite sorbetière portable qu'ils trimballent «dans un sac à dos» partout où leurs voyages les mènent, de Los Angeles à Dubaï en passant par Martigny, et font goûter à qui veut leurs créations stockées dans des tupperwares.
«Au début, c'était franchement pas terrible», avoue Sylvain Perret. Leur approche empirique les fait démarrer avec une recette classique dans laquelle ils incorporent des laits végétaux et réduisent peu à peu le sucre. Amande, avoine, noisette, etc: tous les laits d'origine végétale sont mis au banc d'essai, seuls ou en combinaison. Même chose pour les édulcorants, «tous d'origine naturelle: nous n'utilisons pas d'aspartame ou d'autres édulcorants de synthèse», précise Sylvain Perret. Vérification faite, il s'agit d'édulcorants végétaux de type stévia ou xylitol.
Morand et Migros y croient
Après deux ans de développement, ils obtiennent une première formule acceptable. Ne leur reste plus qu'à commercialiser les produits - une tâche tout aussi difficile. «Le déclic a été notre rencontre avec la distillerie Morand, raconte le fondateur. Ils étaient sensibles à la thématique du sucre, notre projet les a convaincus». Le fabricant valaisan de sirops et spiritueux met des billes dans l'affaire, soutient la distribution des glaces de la startup et leur fait surtout rencontrer des représentants de Migros. Fin 2019, Enjoy Trill passe «de deux gars avec une sorbetière dans un sac à dos à des pots de glace vanille, chocolat et fraise bien rangés dans les congélateurs des supermarchés Migros».
Blick en avait d'ailleurs goûté une récemment - et tout à fait par hasard - dans son test des glaces véganes, et le pot de vanille s'en était honorablement sortie face aux cadors du marché.
Les deux fondateurs ne s'en tiennent pas aux pots: le format fun et plus pratique, plus photogénique des bâtonnets leur fait de l'oeil. «Produire des bâtonnets s'est vite imposé comme une évidence, dit l'entrepreneur. On peut y mettre une coque en chocolat et des inclusions telles que des cacahuètes ou du riz soufflé pour plus de gourmandise, ce qui est rare sur le marché des glaces healthy».
Ils s'attèlent donc à la fabrication de bâtonnets de type Magnum. Retour au laboratoire où les essais se poursuivent, pour une formule qui évolue en permanence. «Ils reposent sur une recette totalement différente de celle de nos pots il y a deux ans, assure Sylvain Perret. Aujourd'hui ce sont les produits phares de la marque».
Aussi bonnes que les Ben & Jerry's?
Pour parvenir à trouver le juste milieu entre une faible teneur en sucre puis une saveur et une consistance agréables, Enjoy Trill organise des panels de dégustation à l'aveugle dans plusieurs pays, les goûts en terme de sucre variant énormément d'un endroit à l'autre. Test après test, ils finissent par finaliser une recette qui reçoit «une réponse très positive du public, même en dégustation à l'aveugle face à des Ben & Jerry's et des Häagen-Dazs, jure Sylvain Perret. C'est bluffant».
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Aujourd'hui, ces glaces moins sucrées qu'un abricot ou que 100 grammes de fraises ravissent aussi bien les adeptes des régimes low carb que les becs sucrés soucieux de ne pas trop abuser. Conçues en Suisse et fabriquées dans des usines spécialisées en Pologne, on les trouve chez nous donc, mais aussi en France, en Espagne, au Portugal et aux Émirats, ainsi qu'à Malte. Bientôt, c'est l'Asie qui pourrait les voir débarquer. Malin: les populations asiatiques sont largement intolérantes au lactose, un sucre absent des laits végétaux.
Chilla Vanilla, Crackin Caramel, Coco Loco, Berry Blast ou encore Choca Choc: les bâtonnets existent en diverses déclinaisons. J'ai pu en déguster quelques unes et j'ai été surpris: ces glaces sont en fait bien meilleures que je ne les aurais imaginées. La coque de chocolat saupoudrée de copeaux de noix de coco du parfum Coco Loco craque sous la dent avec le bruit si caractéristique des Magnum, un point fort satisfaisant. Dessous se dévoile une crème glacée immaculée à la noix de coco, légère et parfaitement onctueuse, jamais emportée par des parfums d'édulcorants. Je termine la glace en quelques coups de crocs experts et jette un oeil sur l'étiquette: il y a bien 4 grammes de sucres là dedans, et 15 grammes de lipides, ce qui n'est pas rien. Heureusement: sans ces graisses végétales qui amènent de la consistance, autant lécher du gravier.
Les goûts et les couleurs
Personnellement, j'ai trouvé qu'en étant satisfaisantes et si peu sucrées, ces glaces tiennent finalement leurs promesses. Mais il est clair que pour certains, une glace sans ses 25 grammes de sucre, ce n'est pas une vraie glace. Je ne peux pas leur donner complètement tort: même si je les ai trouvées bonnes, je les terminais souvent avec un je-ne-sais-quoi de sensation un peu frustrante, comme s'il manquait un petit quelque chose, comme si mon cerveau se plaignait d'avoir reçu une dose incomplète. Qui a dit que le sucre est une vraie drogue?