Crudo de sandre des Alpes au jus de rhubarbe et petits pois, omble chevalier à la flamme et sa polenta tessinoise au safran, côte de veau au poivre long de Java et chutney framboise-harissa... Non, vous ne lisez pas les intitulés d'un restaurant étoilé au cadre feutré, servi sur une table nappée par une vingtaine d'employés à votre service.
Ce menu, délicieusement nommé «Vent d'Anges», est celui que confectionne Pierre Crepaud et que sert sa compagne Delphine Gillioz, dans leur guérite au cœur des vignes de Saillon (VS). Dans ce lieu hors du commun, bénéficiant d'une vue imprenable sur la plaine du Rhône et les Alpes, on ne fait pas de chichis: la vingtaine de clients s'attable comme si elle était chez le couple.
Un chef farceur aux commandes
En fait, cette guérite n'est pas vraiment la leur. «Un jour de 2020, nous nous baladions dans le vignoble lorsque j'ai dit à Delphine, «Cet endroit est magnifique! Ce serait génial d'y faire quelque chose.» Elle a souri et m'a répondu que cette maisonnette et les vignes autour appartenaient à son beau-frère Nicolas Cheseaux, propriétaire de la Cave Corbassière, à Saillon même.» L'aventure démarrait.
Mais que faire avec une bicoque d'à peine six ou huit mètres carrés? Quelques apéros plus tard naissait l'idée d'une cuisine gastronomique mais décomplexée, signée Pierre, servie par Delphine et son père Jean-Daniel, et complétée des vins de Nicolas.
Originaire de Valence (FR), Pierre Crepaud s'est fait connaître en Suisse au LeCrans Hôtel&Spa, à Crans-Montana (VS), où il est resté une dizaine d'années en atteignant 17/20 au GaultMillau et une étoile au Michelin. Farceur et joueur, il y a introduit par exemple le ludique «shot des glaciers», une préparation glacée et composée de trois ingrédients différents à chaque fois, que les clients doivent deviner. Ça met l'ambiance à table!
Puis, en fin de repas, place à la fameuse barbapapa à réaliser soi-même (!) en cuisine, avant de la déguster à table comme de vrais enfants. Une légèreté qui tranche avec les autres restaurants de ce standing, mais qui fait du bien. Et que l'on retrouve donc à la guérite.
Une organisation millimétrée...
Revenons à la bicoque en pleines vignes. Sur place, tous les convives se posent la même question: «Pierre, comment fais-tu pour sortir des plats comme ceux-ci alors que tu n'as que ce cabanon en guise de cuisine?» Et lui de répondre, grand sourire: «Je me débrouille, on trouve toujours des solutions (rires). Plus sérieusement, je prépare le maximum dans ma cuisine de production à La Tzoumaz, et fais les finitions sur place.» Le secret est dévoilé!
Le sandre des Alpes s'adjoint de jus de rhubarbe acidulé, et gagne en texture grâce aux petits pois juste cuits et à la burrata fribourgeoise bien crémeuse. Une dinguerie. Avec cette première entrée, place au chardonnay de la cave Corbassière, qui précède avec volupté l'«Oxylus», assemblage rouge dont l'étiquette a été créée par la belle-sœur de Delphine, et sur laquelle on voit la guérite dans le vignoble. Entre deux dressages, le chef passe entre les tables, papote, rigole, on est à la «casa»!
Arrive ensuite l'omble chevalier à la flamme et la polenta au safran de Mund («Ce sont des clients de Mund qui m'ont offert un pot entier, confie Pierre. Depuis, je le mets en avant!»). Puis, alors que l'on profite d'une pause pour nos estomacs, se lèvent les derniers petits nuages sur le Bas-Valais. Alors, on se dirige vers le bord de la terrasse pour admirer les Alpes, la plaine du Rhône et les vignes en contrebas. C'est à ce moment-là que survient une odeur inattendue.
... et des millimètres organisés
Puisque Pierre n'a la place que pour de petites plaques à l'intérieur de la guérite, il a installé un kamado, un barbecue de compétition, d'où s'élèvent de délicates effluves de veau à la braise... Tendrissime, la côte de veau se fait escorter de pleurotes et de grenailles dans une mini-cocotte. On n'oublie pas la sauce framboise-harissa qui arrache bien comme il faut, et que l'on équilibre avec le sérac à l'épicéa.
De notre table, on aperçoit celle où le chef et sa petite équipe dressent les plats, et il faut dire que l'espace est optimisé! Les assiettes à dessert s'entremêlent les unes sur les autres pour pouvoir - tout juste - les dresser toutes en même temps. Aujourd'hui, le Mont-Blanc monochrome signature du chef s'acoquine d'un sorbet au yaourt au lait des Alpes, une compotée de fraises et une écume à la verveine à l'odeur enivrante. Miam!
Après le repas, pour Pierre et Delphine, c'est le moment de la vaisselle. Et donc de rapporter à La Tzoumaz assiettes, couverts et serviettes pour les nettoyer, avant de les rapporter le lendemain pour le service suivant. On est autant épatés par ce qu'on vient de déguster que par l'organisation et l'anticipation que toute cette expérience demande. Si c'était à refaire? On le referait, mais avec l'accord mets-vin entier afin de vraiment découvrir le travail de Nicolas.