Comme l'écrivait Blick, l'Aromat de Knorr, le mélange d'épices cher aux Suisses, connaît d'importants problèmes d'approvisionnement.
Y a-t-il péril en la demeure? Alors que les fans s'en inquiètent et font des réserves, et que la RTS propose même des recettes d'Aromat fait maison, les cuisiniers professionnels, eux, se contentent de hausser les épaules. Y compris en Suisse alémanique, où la poudre jaune est pourtant très populaire, a priori plus encore qu'en Suisse romande.
L'Aromat? «C'est pour les gens qui ne savent pas cuisiner», lâche l'icône culinaire Irma Dütsch. La première femme suisse à avoir reçu une étoile au guide Michelin dit ne pas avoir passé son enfance avec cette épice sur les papilles. «J'ai grandi à la ferme, il y avait suffisamment d'herbes dans le jardin. L'herbe à Maggi [nom vernaculaire de la livèche, une herbe aromatique] est suffisamment corsée.» Selon elle, l'Aromat n'a rien à faire dans la cuisine professionnelle. Et elle n'est pas la seule à le penser.
Épices, plaisir et glutamate
Aucun chef étoilé ne se ferait pincer avec de l'Aromat dans ses casseroles. «Il a une mauvaise réputation, c'est l'épice de la ménagère des années 1960», explique le chef Stefan Schüller, depuis 30 ans dans la haute gastronomie. Dans son auberge Hirschen à Obstalden (GL), on lui en demande pourtant parfois: «Une fois, un client a failli péter un câble parce qu'il n'y avait pas d'Aromat sur la table.»
Pour ce chef dont l'établissement est noté 15/20 par le guide Gault & Millau, là où le bât blesse, c'est à cause du glutamate monosodique, principal ingrédient de l'Aromat: «Cette molécule flatte nos papilles gustatives. On s'y habitue de plus en plus, et on ne peut plus s'en passer – c'est presque comme une drogue.» Si bien que la poudre a longtemps servi d'exhausteur de goût, quitte à devenir un cache-misère. «Autrefois, on disait dans certaines cuisines: 'mets plus de puissance' ce qui signifiait en fait 'mets plus d'Aromat'.»
La cinquième saveur
Mais que contient réellement l'Aromat, fabriqué par l'Allemand Knorr? Du glutamate monosodique, du sel, de l'huile de palme, des extraits d'épices et de levure, de l'oignon et de l'ail en poudre, auxquels s'ajoutent des traces de gluten, de lait, d'œuf, de soja, de céleri et de moutarde. Ce qui le rend si attractif aux goûts de certains, c'est ce que l'on appelle la saveur umami.
L'umami – qu'on traduit par savoureux depuis la langue japonaise – est parfois considérée comme la «cinquième saveur», complétant le sucré, le salé, l'amer et l'acide. Son découvreur est le professeur Kikunae Ikeda, qui a réussi en 1908 à extraire le glutamate monosodique de l'algue kombu.
Mais le glutamate existe naturellement dans de nombreux autres aliments. Sa concentration est particulièrement élevée dans la sauce soja, les tomates, les cèpes séchés, le parmesan, les anchois, mais aussi dans le lait maternel humain.
Pur, le glutamate monosodique se présente sous forme d'une poudre blanche, qu'on retrouve parfois sous la dénomination E620 dans la liste des ingrédients. C'est cette molécule qui donne son goût à l'Aromat. On lui prête des propriétés stimulant l'appétit, que certains soupçonnent de favoriser l'obésité.
Gault & Millau et une étoile Michelin
Cette épice allemande adorée des Suisses n'a pourtant pas empêché d'autres chefs de briller. Gertrud Büeler, de la Faktorei Bäch sur la rive schwytzoise du lac de Zurich, est l'une de celles qui a su se hisser au sommet grâce à l'Aromat. Pendant 61 ans, elle a dirigé avec son mari Armin le célèbre restaurant – fermé depuis – spécialisé en poisson. A 90 ans, elle était encore en cuisine l'automne dernier pour préparer des perches cuites au four, ou des filets de brochets frits dans une pâte à la bière.
Elle dit n'avoir jamais beaucoup apprécié les épices fantaisistes, l'important étant, selon elle, de mettre en valeur le poisson. Selon des sources sûres, sa recette comprenait pourtant non seulement du sel et du poivre, mais aussi le fameux Aromat.
Avec succès. Dans les années 1980, le guide Gault & Millau a attribué 14 points à son restaurant, puis 15 peu après, et a écrit à son sujet: «On peut tourner les choses comme on veut, Gertrud Büeler est et reste la meilleure cuisinière de poisson loin à la ronde.» La consécration est venue en 1996 avec une étoile Michelin. Pour la cuisinière, qui n'a jamais pu suivre de formation à cause de la guerre et qui a tout appris par elle-même, ce fut une grande victoire.
(Adaptation par Fabien Goubet)